Claude, empereur malgré lui
crime ordinaire, mais qu’il a violé son plus solennel serment de fidélité à l’empereur. Et pour ce crime, il n’a pas le droit de continuer à vivre. S’il était honnête homme, il se serait déjà jeté sur la pointe de son épée.
— Et oublies-tu, appuya Hérode, que Cassius a envoyé Lupus t’assassiner toi aussi, ainsi que dame Messaline ? Si tu le laisses repartir libre, la cité en conclura que tu as peur de lui.
Je fis venir Cassius et lui dis :
— Cassius Chéréas, tu es un homme habitué à obéir aux ordres. Je suis maintenant ton commandant en chef, que cela me plaise ou non ; et tu dois obéir à mes ordres, que cela te plaise ou non. Ma décision est la suivante : si tu avais, comme Brutus, tué un tyran pour le bien commun malgré l’affection que tu lui portais personnellement, je t’aurais applaudi ; encore que j’aurais attendu de toi, pour avoir enfreint ton serment de fidélité, que tu te donnes la mort. Mais tu as comploté ce meurtre (et tu l’as commis hardiment alors que d’autres hésitaient), par rancœur personnelle ; et un tel mobile ne peut te valoir mes louanges. De plus, je crois savoir que de ta propre autorité, tu as envoyé Lupus assassiner dame Césonie et mon épouse dame Messaline et moi-même, s’il pouvait me trouver ; et pour cette raison, je ne t’accorderai pas le privilège du suicide. Je te ferai exécuter comme un vulgaire criminel. J’en suis affligé, crois-moi. Tu m’as traité d’imbécile devant le Sénat et tu as dit à tes amis que dans leurs propos, ils n’avaient à me ménager en rien. Il se peut que tu aies raison. Mais, imbécile ou non, je veux maintenant rendre hommage aux grands services que tu as rendus à Rome dans le passé. C’est toi qui a sauvé les ponts du Rhin après la défaite de Varus, et mon cher frère t’a une fois décrit dans une lettre comme le meilleur soldat servant sous son commandement. Je regrette seulement que cette histoire n’ait pas une fin plus heureuse. Je n’ai rien à ajouter. Adieu.
Cassius salua sans un mot et fut conduit à sa mort. Je donnai également des ordres pour l’exécution de Lupus. La journée était glaciale, et Lupus, qui avait enlevé sa cape militaire pour qu’elle ne fût point tachée de sang, fut pris de frissons et se plaignit du froid. Cassius, honteux pour lui, lui déclara d’un ton de reproche :
— Jamais un loup ne devrait se plaindre du froid.
(Lupus veut dire loup en latin.) Mais Lupus pleurait et ne parut pas l’entendre. Cassius demanda au soldat qui faisait office de bourreau s’il avait la moindre expérience de ce métier.
— Non, répondit le soldat, mais j’étais boucher dans le civil.
Cassius se mit à rire et répliqua :
— Eh bien, c’est parfait. Maintenant veux-tu m’accorder la faveur de te servir sur moi de ma propre épée ? C’est celle avec laquelle j’ai tué Caligula.
Il fut décapité d’un seul coup. Lupus n’eut pas ce bonheur ; ayant reçu l’ordre de présenter sa nuque, il avança craintivement la tête puis eut au dernier moment un sursaut, et le coup l’atteignit sur le front. Le bourreau dut frapper à plusieurs reprises pour l’achever.
Quant au Tigre, à Aquila, à Vinicius et au reste des assassins, je n’exerçai sur eux aucune vengeance. Ils bénéficièrent de l’amnistie qu’à l’arrivée du Sénat au palais je proclamai immédiatement pour tous les propos tenus et tous les actes commis ce jour-là et le jour précédent. Je m’engageai à rendre leur commandement à Aquila et au Tigre à condition qu’ils me prêtent serment d’allégeance ; mais je confiai un autre poste au commandant des gardes, car Rufrius était un homme trop précieux pour être cantonné à ce rôle. Je dois ici rendre hommage au Tigre, qui se conduisit en homme de parole. Il avait juré à Cassius et à Lupus qu’il préférerait mourir plutôt que de me saluer comme empereur, et maintenant qu’ils avaient été exécutés, il se sentait une dette d’honneur envers leurs fantômes. Il se tua courageusement juste avant que leur bûcher funéraire ne fût allumé, et son corps fut brûlé avec les leurs.
CHAPITRE 6
Il y avait tant de mesures à prendre pour essayer de remettre de l’ordre dans le chaos que Caligula avait laissé derrière lui – près de quatre ans de gabegie, que j’en ai la tête qui tourne encore maintenant rien que d’y songer. En
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