Claude, empereur malgré lui
dix millions de pièces d’or. Mais je songeai que l’œuvre une fois accomplie durerait à jamais et qu’ainsi les risques de famine dus à la pénurie de blé seraient définitivement écartés, du moins tant que nous tiendrions l’Égypte et l’Afrique. La dignité et la grandeur de Rome méritaient bien à mon avis qu’on se lançât dans cette entreprise. Pour commencer, une vaste étendue de terre devrait être affouillée et de solides murs de soutènement en ciment édifiés de part et d’autre de l’excavation, avant qu’on puisse laisser pénétrer la mer formant le port intérieur. Ce port devrait être protégé à son tour par deux énormes môles construits en eau profonde, de chaque côté de l’entrée du port, avec une île entre leurs extrémités pour servir de brise-lames quand le vent soufflerait de l’ouest et que de fortes vagues déferleraient dans l’embouchure du Tibre. Sur cette île, les ingénieurs se proposaient de construire un phare comme le célèbre phare d’Alexandrie, pour guider l’arrivée des bateaux par les nuits les plus sombres et les plus tempétueuses. L’île et les môles formeraient le port extérieur.
— Nous avons fait ce que tu nous avais demandé, César, me déclarèrent les ingénieurs lorsqu’ils me soumirent leurs plans, mais, bien entendu, le prix sera prohibitif.
— Je vous ai demandé un plan et un devis, répondis-je assez sèchement, et vous avez eu la bonté de me les fournir, ce dont je vous remercie grandement ; mais je ne vous emploie pas comme conseillers financiers et je vous serais reconnaissant de ne pas assumer ce genre de responsabilités.
— Mais Callistus, ton trésorier public…, commença l’un d’entre eux.
Je l’interrompis net.
— Oui, bien sûr, Callistus a discuté avec vous. Il se montre économe des deniers publics et il a parfaitement raison. Mais il ne faut pas pousser trop loin la parcimonie. Ce problème est de la plus haute importance. En outre, je ne serais pas surpris d’apprendre que ce sont les céréaliers qui vous ont persuadés de présenter ce rapport décourageant. Plus le blé se raréfie, plus ils s’enrichissent. Ils appellent le mauvais temps de leurs prières et prospèrent sur la misère des pauvres.
— Oh, César, s’exclamèrent-ils en chœur d’un ton vertueux, t’imagines-tu que nous nous laisserions acheter par des marchands de blé ?
Mais je voyais bien que mon trait avait porté.
— J’ai dit persuader et non pas acheter. Ne vous accusez pas inutilement. Maintenant écoutez-moi. Je suis bien décidé à mettre ce projet à exécution quel qu’en soit le prix ; mettez-vous bien ça dans la tête. Et je vais vous dire autre chose : il prendra beaucoup moins de temps et coûtera beaucoup moins d’argent que vous ne semblez le penser. Dans trois jours, vous et moi allons étudier la question à fond.
Sur une suggestion de mon secrétaire Polybius, je consultai les archives du palais où je découvris, en effet, un projet détaillé préparé par les ingénieurs de Jules César près de quatre-vingt-dix ans auparavant concernant la même entreprise. Ce projet était presque identique à celui qui venait d’être établi, mais le devis, découvris-je avec plaisir, ne prévoyait que quatre ans de travaux et un prix de revient de quatre millions de pièces d’or. Compte tenu d’une légère augmentation du prix des matériaux et de la main-d’œuvre, il devait être possible de mener cette tâche à bien pour la moitié seulement de la somme prévue par mes ingénieurs, en quatre ans au lieu de dix. À certains égards, le vieux projet (abandonné parce que trop coûteux) était supérieur au nouveau, bien que la construction de l’île n’y fût pas prévue. J’étudiai les deux projets attentivement, comparant leurs points de différence ; puis je me rendis personnellement à Ostie, en compagnie de Vitellius, expert en matière de travaux publics, pour m’assurer que le site où nous nous proposions de construire le nouveau port n’avait subi aucune altération physique importante depuis l’époque de Jules César. Lorsque la conférence se réunit, j’étais en possession de tous les renseignements nécessaires et il fut impossible aux ingénieurs de me duper, en sous-estimant, par exemple, la quantité de terre qu’une centaine d’hommes pouvaient transporter d’un point à un autre en une seule journée, ou en suggérant que pour
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