Claude, empereur malgré lui
procéder aux excavations, il serait nécessaire de déblayer des milliers et des milliers de mètres cubes de roche. J’en savais maintenant presque autant qu’eux dans ce domaine. Je me gardai de leur révéler l’origine de ma science, laissant simplement entendre que je l’avais acquise de moi-même au cours de mes études historiques et que deux visites à Ostie m’avaient suffi pour maîtriser le problème tout entier et tirer mes propres conclusions. Je profitai de la forte impression que j’avais faite sur eux pour déclarer que si jamais ils essayaient de ralentir les travaux une fois qu’ils seraient commencés, ou manifestaient le moindre manque d’enthousiasme, je les enverrais tous au Royaume des Ombres afin de bâtir une nouvelle jetée sur le Styx pour Charon. L’aménagement du nouveau port devait commencer sans délai. Ils disposeraient d’autant d’ouvriers qu’ils voudraient, jusqu’à trente mille s’il fallait et un millier de contremaîtres avec le matériel, les outils, les transports nécessaires ; mais il était impératif de commencer.
J’appelai ensuite Callistus et lui fis part de ma décision. En le voyant écarter les bras, les yeux levés au ciel en donnant tous les signes du désespoir, je le priai de cesser son cabotinage.
— Mais, César, d’où va venir l’argent ? bêla-t-il comme un mouton.
— Des céréaliers, imbécile, répondis-je. Donne-moi le nom des principaux membres de la Corporation du Blé et je veillerai à ce que nous obtenions ce dont nous avons besoin.
En moins d’une heure, j’avais devant moi les six plus riches négociants en grains de la cité. Je m’empressai de les terroriser.
— Mes ingénieurs me signalent, messieurs, que vous avez essayé de les acheter pour qu’ils me soumettent un rapport défavorable sur le projet d’Ostie. Je trouve l’affaire d’une extrême gravité. Elle équivaut à une conspiration contre la vie de vos concitoyens. Vous méritez d’être jetés aux fauves.
Ils nièrent l’accusation, se répandant en larmes et en serments et me supplièrent de leur faire savoir comment ils pouvaient me prouver leur fidélité.
C’était bien simple : je voulais un prêt immédiat d’un million de pièces d’or pour le projet d’Ostie, que je leur rembourserais dès que la situation financière le permettrait.
Ils prétendirent que leurs fortunes conjointes ne se montaient même pas à la moitié de cette somme, mais sur ce point je savais à quoi m’en tenir. Je leur donnai un mois pour trouver l’argent et les prévins que s’ils échouaient, ils seraient tous bannis sur la mer Noire. Ou même plus loin encore.
— Et n’oubliez pas, ajoutai-je, que lorsque ce port sera construit, ce sera mon port ; si vous voulez l’utiliser, il faudra venir me demander l’autorisation. Je vous conseille donc vivement de rester en bons termes avec moi.
L’argent me fut versé dans les cinq jours et les travaux commencèrent immédiatement par la construction d’abris pour les ouvriers et la distribution des tâches. Dans des occasions comme celle-ci, il était, je dois le reconnaître, extrêmement plaisant d’être un monarque ; d’être en mesure de mener à bien des tâches importantes en balayant toute opposition malencontreuse d’une simple injonction, d’un ordre sans réplique. Mais je devais veiller constamment dans l’exercice de mes prérogatives impériales, à ne pas mettre en péril l’éventuelle restauration de la République. Je faisais de mon mieux pour encourager la liberté d’expression et le sens civique et pour éviter de transformer en caprices personnels les lois auxquelles tout Rome devrait obéir. Mais par une ironie du sort, la liberté d’expression, le sens civique et l’idéal républicain lui-même semblaient précisément entrer dans la catégorie de mes caprices personnels. Et bien que j’eusse veillé au début à me rendre accessible à tous afin de prévenir dans mon comportement tout symptôme de morgue impériale et parlé à mes concitoyens sur un ton familier et amical, je dus rapidement adopter une attitude plus distante. Ce n’était pas tellement que je n’avais pas de temps à perdre en perpétuels bavardages avec tous ceux qui venaient me voir au palais ; c’était plutôt que mes interlocuteurs, à quelques rares exceptions près, abusaient sans vergogne de mes bonnes dispositions à leur égard, soit en répondant à ma
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