Clio Kelly et l'éveil de la gardienne

exquis, plaisanta-t-il en se servant une tasse de thé.
    Clio ne put s’empêcher de rougir. Elle ne faisait pas souvent allusion à ses origines mais n’en restait pas moins fière. Et elle ne pouvait retenir une grimace lorsqu’on la comparait à une Anglaise ou, comme les appelaient les Écossais, aux Sassenach [3] ...
    — Commençons si vous le voulez bien. Vous êtes connu dans le monde de la médecine comme un brillant spécialiste du cancer et un excellent professeur. Vous êtes également un nom respecté dans la lutte pour la protection des requins. Est-ce pour cette raison que vous con-testez l’utilisation de la poudre de requins pour soigner le cancer ?
    — Si je dénonce les effets de ce médicament, c’est parce que celui-ci n’a aucun effet sur le cancer, ni sur aucune autre maladie. Sa seule conséquence est de contribuer à l’extinction de cette espèce.
    — Vous avez reçu plusieurs invitations à vous rendre en Australie, pouvez-vous nous en expliquer la raison ?
    — Il y a environ cinq ans, je suis entré en contact avec une chercheuse qui aurait découvert une plante utilisée par les aborigènes.
    Il porta sa tasse à ses lèvres et but un peu de thé avant de reprendre :
    — Elle serait efficace sur de nombreuses maladies. C’est pourquoi nous avons décidé, d’un accord commun, de réunir plusieurs spécialistes pour étudier les influences de cette plante.
    — Quand comptez-vous vous rendre sur place ? interrogea Clio, le stylo en l’air.
    — Je pars le mois prochain pour l’Australie afin…
    Mais Clio n’entendit pas la fin de la phrase car, au même moment, une terrible explosion fit trembler les murs. Obéissant à un instinct de survie, ils plongèrent tous deux au sol pour se protéger d’éventuels projectiles. Le calme revenu, Clio se massa le sommet du crâne qui avait cogné contre la table en bois puis regarda autour d’elle. Déjà debout, son interlocuteur lui tendit une main secourable qu’elle saisit sans hésitation.
    — Par le ciel et l’enfer ! Mais que s’est-il passé ? tonna-t-il. Vous allez bien, mademoiselle ?
    — Oui professeur ! Juste un peu sonnée, le rassura-t-elle.
    Ils sortirent de la pièce et constatèrent que les portes s’étaient ouvertes sous la force de la déflagration. Dans les couloirs, les élèves se dévisageaient et s’interrogeaient sur ce qui venait de se produire. Dans l’esprit de la jeune femme, une sonnette d’alarme se déclencha, un profond sentiment de malaise l’envahit. Prise de vertiges, elle s’appuya contre l’un des murs.
    Aussitôt, une foule d’images se forma dans son esprit : elle voyait plusieurs étudiants pénétrer et sortir des pièces, de la même manière qu'elle aurait visionné un film en accéléré. Puis elle vit une étrange silhouette, semblable à un fantôme se déplacer seule dans le couloir et se glisser dans l'une des classes. Clio ressentit de nouveau le souffle.
    Sous sa main, le mur se mit à chauffer. La paume rougie comme si elle s’était retrouvée au-dessus d’une flamme, Clio courut jusqu'à l’endroit où elle avait vu disparaître l’ombre. Elle tourna la poignée et hurla de terreur en découvrant le macabre tableau. Aussitôt, les professeurs alertés, suivis des étudiants, la rejoignirent.
    La température semblait avoir chuté, plusieurs personnes furent prises de tremblements. Un lourd silence s’imposa. Dans l'air, l’odeur métallique du sang était enivrante et écœurante. Puis le temps parut reprendre son cours normal, des sons étouffés se firent entendre, accompagnés de cris perçants et de pleurs.
    Le spectacle s'étalant sous leurs yeux était tiré tout droit d’un film d’horreur : les tables, les chaises et le bureau avaient été renversés et à moitié brûlés. Les vitres étaient brisées, des débris de verre jonchaient le sol. Mais le pire n’était pas là : épinglé bien en vue sur le tableau noir de la classe, comme on l’aurait fait avec un insecte, se tenait un corps mutilé ; crucifié la tête en bas, les mains et les pieds transpercés. Pendant un instant, Clio eut l’impression de se retrouver au premier temps du christianisme et non plus dans une salle de classe du XXIème siècle.
    La journaliste reconnut difficilement le professeur qui l’avait accueillie un moment plut tôt : les cheveux rougis par le sang, les traits de son visage tordus par la souffrance, les yeux grands ouverts de terreur. Elle