Clio Kelly et l'éveil de la gardienne

avec violence.
    Minuit venait de sonner lorsqu’ils poussèrent enfin la porte de son appartement ; ils ne se doutaient pas qu’au même instant, un oiseau se posait sur le rebord d’une des fenêtres du journal.
    La pie sautilla sur place un moment, puis frappa de son bec plusieurs petits coups sur le carreau. Malgré ses efforts, rien ne se produisit et elle poussa un jacassement perçant. Elle déploya ensuite ses ailes et se jeta contre la vitre ; sans succès. Ses yeux brillèrent soudain, des éclairs parcoururent ses plumes et son bec devint aussi rouge que du métal en fusion ; elle parut s'embraser. La surface du carreau vibra, et soudain, la pie passa au travers, aussi aisément qu'elle aurait franchi une fine chute d'eau.
    Reprenant son envol, elle effectua plusieurs tours de la pièce pour finalement atterrir sur l’un des bureaux. Au centre de celui-ci reposait un mouchoir plié en quatre, oublié par son propriétaire. Attrapant l’un des coins dans son bec, elle le déplia et commença à jouer avec, pour s'en lasser aussi vite qu’elle s’en était emparé. L'extrémité de ses rémiges s'orna alors d'éclats scintillants ; la lumière se propagea ensuite le long des ailes, jusqu'à envelopper son corps d'oiseau. Ses membres s'étirèrent, son apparence se modifia, et céda la place quelques minutes plus tard à une silhouette humaine.
    La femme qui venait d'apparaître était grande, portait un corsage prune, complété de gants qui lui couvraient les bras. Ses jambes étaient dissimulées par une longue jupe éclatante. Sa chevelure était un mélange de rouge, de rose, de mauve et de blanc, et se mariait à la perfection avec le violet sombre de ses yeux.
    Un étrange sourire se dessina sur ses lèvres quand sa main se referma sur le mouchoir et le porta à son nez, respirant l’odeur qui s’en dégageait.
    — Ton odeur ainsi que ton Aura sont toujours les mêmes, Djabraïl, susurra-t-elle en craignant de réveiller le passé douloureux de ses souvenirs. J’ai hâte que nos chemins se croisent de nouveau.
    — Melhistophiels ! gronda alors une voix s'élevant des ténèbres, fais ton travail au lieu de lambiner !
    Melhistophiels se retourna, son visage s’empourpra de colère. Assis sur l’une des armoires, un enfant d’une dizaine d’années la regardait, mi-amusé, mi-furieux. Il avait les cheveux coupés courts, d'un blond presque blanc, et sa peau semblait être constituée d'eau. En revanche, le mauve de ses iris prouvait qu’il n’avait rien d’un enfant normal. Entre ses mains, il tenait une sucette qu'il léchait avec gourmandise.
    — Tu n’as pas à me donner d’ordres, Abel ! tonna Melhistophiels. Tu n’as rien à faire ici !
    — Et toi, tu n’es pas là pour traquer ton ancien compagnon ! répondit-il avec froideur. Tu sais qu'avec le temps, je commence à comprendre comment il a pu te préférer cette gardienne. Tu n’as même pas été capable de la tuer c…
    — TAIS-TOI !
    Tremblante de rage, Melhistophiels ne supportait pas ce garçon, toujours à fouiner dernière elle comme s’il désirait la surprendre en train de commettre une erreur. Devant l'expression furieuse de son aînée, Abel éclata rire. Il se laissa glisser de l’armoire et atterrit sans un bruit sur le sol ; le rictus moqueur qui tordait ses lèvres trahissait un certain amusement.
    — Tu devrais te dépêcher de déposer les documents. Notre Maître attend beaucoup de nous et je refuse que tu fasses échouer notre mission parce que ton ancien amour s’est réincarné !
    — Je n’ai pas besoin qu’un sale petit morveux me rappelle à l’ordre, Abel ! dit Melhistophiels dont les dents étaient si serrées qu'elle en avait du mal à parler. Tout est là !
    L’air sombre, Abel observa sa compagne faire apparaître le dossier qu’il avait préparé pour piéger la gardienne. Elle lui lança un regard dégoûté, puis pénétra dans le bureau de Nicolas. Si c’était son patron qui découvrait le premier l’enveloppe, Clio Kelly ne pourrait échapper à ce qui l’attendait.
    — Et voilà ! Tu peux aller voir le Maître et lui dire que j’ai accompli ma mission.
    Melhistophiels n’avait jamais aimé cet ange déchu car elle savait bien qu’il ne désirait qu’une seule chose : prendre sa place. Comment le Seigneur avait-il pu créer un être d’une beauté aussi parfaite et d’une noirceur digne du maître des enfers ? Abel, quant à lui, ne parvenait pas à