Clio Kelly et l'éveil de la gardienne
Ministre des affaires étrangères, était toujours par monts et par vaux, au service de son pays, ce qui ne lui laissait que peu de temps pour sa fille. Quant à Sélène, sa mère, elle était décédée huit ans plus tôt, en donnant naissance à un enfant mort-né. Une boule se forma dans la gorge de Clio. D’après son père, elle était le portrait vivant de Sélène.
À son cou pendait un vieux médaillon où les photographies de ses parents étaient enfermées, bien à l’abri contre sa peau. Sa main plongea sous son pull et le sortit. Du bout des doigts, elle caressa le blason de la famille Kelly qui était gravé dessus, dessiné par son grand-père maternel. Le médaillon avait appartenu à l’épouse de celui-ci, laquelle l’avait reçu en cadeau de mariage avant de le transmettre à son tour à sa propre fille. Le blason représentait deux cerfs dressés, les bois s’entrechoquant. Entre les animaux se trouvait une couronne, entourant un cœur soutenu par deux mains, symbole de l’amour cher à l’Irlande dont sa grand-mère était originaire.
Cet amour leur avait permis d’avoir deux enfants. Le premier était un garçon du nom de Sirius, qui vivait toujours en Écosse. Il écrivait au moins une fois par mois à sa nièce, exerçait le métier de guide et travaillait à la sauvegarde du patrimoine écossais. On lui devait notamment plusieurs lois visant à la préservation de son pays. Puis le couple avait eu une fille : Sélène, qui était devenue sculpteur. C’était lors d’une de ses expositions que son frère lui avait présenté Charles Darius, son futur géniteur.
Dès le premier regard, ce fut le coup de foudre. Un mois plus tard, ils se mariaient. Les parents de Charles étaient contre cette union et ils avaient catégoriquement refusé de venir à la cérémonie. D’ailleurs, on n’avait jamais plus entendu parler d’eux. Après trois années de vie commune, Charles et Sélène avaient eu la joie de voir naître leur première enfant : Clio. Leur bonheur dura treize ans, puis Sélène tomba de nouveau enceinte mais la grossesse fut difficile et l’accouchement causa la mort de la mère et du bébé.
Un frisson parcourut la colonne vertébrale de Clio ; est-ce qu’elle mourrait, elle aussi, en donnant naissance à un enfant ? Certes, les méthodes médicales avaient considérablement évolué au cours des dernières années mais le risque zéro n’existait pas… Une larme roula le long de sa joue et alla s’écraser dans l’eau sale du fleuve en contrebas. Non, ça ne lui arriverait pas ! Elle était plus forte et robuste que sa mère, hormis sa faiblesse en hiver.
Si elle était la véritable gardienne, elle empêcherait le retour de la déesse céleste à tout prix. Au contraire, si elle n’était là que pour faire diversion, alors elle avouerait son amour à Morgan et mènerait l'existence dont elle rêvait. Un sourire se dessina sur ses lèvres devant cette promesse d’avenir.
— S’il continue à faire aussi froid, tu verras bientôt l’eau de la Seine se changer en glace, comme au Moyen-âge, dit une voix pleine d'humour.
Elle se retourna. Un jeune homme d’environ seize ans, les cheveux coupés courts, d’un châtain qui tirait sur le blond, l'observait. Une lueur moqueuse brillait dans ses yeux couleur noisette.
Clio ne put s’empêcher de frissonner lorsqu’elle vit qu’il ne portait qu’un pantalon en cuir et une fine chemise de soie noire, déboutonnée sur sa gorge. Il devait certainement s’agir d’un gothique, pensa-t-elle. Il tendit sa paume devant lui et aussitôt, un oiseau vint s’y poser. Il plaça alors quelques graines au creux de sa main ; l’oiseau ne résistant pas à ce repas offert les engloutit en roucoulant de reconnaissance.
— Tu veux essayer ? lui proposa-t-il.
Clio acquiesça d’un hochement de tête. Elle prit le sachet et versa à son tour des graines dans sa main. Elle n’eut pas à attendre longtemps : deux moineaux se perchèrent sur ses doigts et picorèrent ce déjeuner.
— Je m’appelle Krystos et toi, belle Muse ?
— Clio, répondit-elle, amusée malgré elle. C’est étonnant qu’ils n’aient pas peur…
— Pourquoi auraient-ils peur de toi, Célèbre ?
À ce nom, la jeune femme tiqua ; « Célèbre » était la traduction française de Clio… Un instant plus tôt, il l’avait déjà nommée « Muse ». Pur hasard ou coïncidence ? Il glissa sa main sous la sienne pour la
Weitere Kostenlose Bücher