Clio Kelly et l'éveil de la gardienne

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    — Tu es celle qui apporte à manger sur cette terre de misère, tel l’ange de miséricorde.
    Cette fois, la journaliste éclata de rire en se demandant qui pouvait bien être cet hurluberlu. Il devait s’agir d’un de ces nombreux poètes des rues, sans aucun doute.
    — Pourquoi m’appelles-tu « Muse » et « Célèbre » ?
    — Les étoiles disparaissent pour laisser place à la lumière, répondit-il en lui montrant l’autre rive.
    — Pardon ?
    Elle tourna la tête dans la direction indiquée. Des passants insouciants marchaient au bord de l'eau, une fillette jetait des cailloux dans les remous du fleuve. Clio ne voyait rien d’extraordinaire ; elle se retourna pour interroger Krystos mais… Il avait disparu ! Elle scruta les alentours, en vain. Qui pouvait bien être ce garçon ?
    Debout sur le quai de la gare, Clio y pensait encore, les bras croisés sur sa poitrine, lorsque Morgan et Nicolas arrivèrent. Enveloppée dans un long imperméable noir, elle avait noué ses cheveux en un chignon très serré qu’elle dissimulait sous un chapeau, ce qui la faisait davantage ressembler à un détective qu’à une journaliste. Elle resta murée dans son silence, mais son partenaire commençait à y être habitué ! Il jeta un regard à sa montre puis aux horaires de départ des trains et s'énerva quand on annonça que le train pour Saint-Alban serait en retard. Il secoua la tête et replongea avec Nicolas dans une conversation des plus animées : leur patron ne cachait pas son inquiétude de les laisser partir dans cette région du Gévaudan, sur les traces d’une étrange créature qui n’hésitait pas à s’attaquer aux Hommes.
    — Si jamais vous sentez que cette affaire devient trop dangereuse, revenez à Paris en quatrième vitesse ! répéta-t-il pour la centième fois à un Morgan qui se trouvait à deux doigts de l’attraper par le col de sa veste et de le jeter sous le premier train.
    — Oui, oui et encore oui, Nicolas !
    — Au lieu de prendre tes grands airs, Chevalier, tu devras mieux surveiller ta partenaire cette fois-ci ! répliqua Nicolas d’une voix sèche. Débrouille-toi pour qu'elle ne te file pas entre les doigts !
    — Ne t’en fais pas, je ne la perdrai pas de vue ! assura Morgan avec un grand sourire. Je ne la quitterai pas des yeux une seule seconde !
    — C’est pour ça qu’elle a déjà décampé, lui répondit Nicolas avec lassitude.
    — Elle… quoi ?
    Clio ne se tenait plus à leurs côtés. D’une main ferme, Nicolas pivota la tête de Morgan de quarante degrés : Clio montait dans l’un des wagons… Il se libéra rapidement et s’élança à sa suite. Quand il la rattrapa, elle avait déjà installé ses affaires dans le compartiment qui leur était réservé ; elle était penchée à la fenêtre et discutait des dernières mises au point avec Nicolas.
    — Faites-moi parvenir un rapport tous les deux jours, en m’indiquant vos progrès et tout ce que vous pourrez apprendre ! Sur place, vous serez accueillis par des amis qui tiennent un journal.
    — Dès que nous aurons du nouveau, je t’enverrai un e-mail, promit la journaliste en baissant la fenêtre.
    Le directeur de l’Opéra se contenta de répondre par l’un de ses grognements habituels. Il continua de les harceler de conseils jusqu'à ce que sa voix soit couverte par le bruit du train qui démarrait. Lorsqu’il eut disparu de leur champ de vision, les deux collègues se laissèrent tomber sur leur siège respectif et ne purent retenir un soupir de soulagement. Alors qu’elle s’apprêtait à se plonger dans la lecture d’un roman qu’elle avait commencé quelques jours plus tôt, Clio fut surprise de voir Morgan sortir de l'enveloppe les documents remis par leur patron afin de les étudier.
    Ses sourcils se froncèrent ; depuis des années qu’elle travaillait avec Nicolas, elle le connaissait suffisamment pour savoir qu’il n’aurait confié un dossier à qui que ce soit et encore moins à Morgan. En sentant le regard de Clio sur lui, il leva la tête et se heurta alors aux iris émeraude… Ceux d’un chat qui vient de repérer une souris bien juteuse…
    — Si Nicolas s’aperçoit que tu lui as fauché ce dossier, il t’écorchera vif !
    — Oh ! Il n’en saura rien ! déclara Morgan avec un sourire qui fit fondre le cœur de glace de Clio. Il s’agit de copies.
    Quittant son siège, elle alla s’asseoir à ses côtés. Une sorte de décharge