Clopin-clopant
ramollir dans ma baignoire, inévitablement
la cendre de ma cigarette tombe dans l’eau avec un bref « pft »
provocant ; il faudrait donc que je m’invente un éteignoir flottant en
forme de petit canard. Je vais avoir l’air fin !
Mauvais présages et bon augure
On allume sa cigarette en mer et, presque aussitôt, un
second foyer s’ouvre, dû à une saute de vent : coup de tabac en
perspective.
Sur le front, d’une même allumette, on donne du feu à
plusieurs troupiers. Le troisième fumeur s’écroule : au premier, l’ennemi
épaule ; au deuxième, il met en joue ; au troisième, il tire.
Je ne suis ni marin ni soldat, mais ces éloquentes
superstitions me séduisent. Pour contrecarrer ces mauvais augures, je m’en
invente de bons. Si dans un geste trop ample, je lâche ma cigarette mais la
rattrape après un triple axel avant qu’elle ne choie sur la jupe de ma voisine,
fortune assurée. Si je déniche un paquet de cigarettes un dimanche soir à
minuit, un être cher pense à moi. Si je retrouve mon briquet dans les capucines,
la récolte sera bonne. Si le vol Paris-Pékin ménage finalement un coinstot
fumeur, c’est le Pérou. Que ma cendre tombe à la verticale dans le cendrier, cadeau
inattendu. Si le garçon l’intercepte juste avant qu’elle ne dégringole dans mon
assiette, victoire sur la malveillance. Si ma cigarette arrive à se consumer en
une gracieuse incurvation de la cendre, surprise amoureuse à l’horizon.
Mais, pour quelques coups de maître, que d’essais désastreux :
le vent rabat mon écharpe sur ma cigarette, j’écrase mon clope sur la table en
marqueterie, j’allume mon stylo, je range ma cigarette allumée dans la poche de
mon gilet, je m’assieds sur le cendrier, une allumette m’explose au visage, je
plante le bout incandescent de la Gauloise entre mes lèvres, je retire ma
cigarette qui reste collée à ma bouche et me cloque les doigts. Je ne cite que
les grands classiques. À noter que les désastres sont à 99 % pour moi. En
dehors des tonnes de cendres que je répands par inadvertance (salutaires, dit-on,
pour les tapis ; imparables contre les limaces dans les jardinières), il
est rarissime que j’endommage ce qui ne m’appartient pas. Mais, de ces rares
fois, je tiens la honteuse liste : un drap brûlé dans un hôtel à Delft, une
nappe d’apparat de Marie, le parquet rustique d’une grange réaffectée, le
manteau d’un passant trop pressé, le lavabo en plastique d’un Relais et Châteaux
(du plastique, en un tel lieu !), la joue d’Eliès avec une allumette (une
leçon pédagogique sur les dangers du feu qui a mal tourné). En presque quarante
ans de pratique, c’est peu. Au total, je crois avoir fait moins de dégâts
matériels avec mes cigarettes que François avec son encre de Chine.
En fait, je suis généralement d’une prudence proportionnelle
à mon tabagisme. En voiture, je garde mon mégot éteint trois minutes et l’éprouve
sur ma paume avant de le jeter par la fenêtre, je recueille ma cendre dans la
main s’il n'y a pas de cendrier, garde un puissant vaporisateur d’eau dans mon
bureau, noie mes cendriers avant de les vider dans la poubelle, ramasse ma cendre
en humectant mon doigt de salive (dégoûtant mais très efficace), écrase
longuement mes clopes en forêt, même s’il pleut des cordes. La rareté des
accidents ne tient donc pas du miracle mais d’une vigilance constante qui
ferait mieux, certes, de s’employer ailleurs. Aux malveillants, je précise que
je ne conduis pas, que je ne travaille pas sur des machines-outils et que cette
prudence arrive à point pour combattre les effets d’une distraction émolliente.
Monoxyde de carbone
Tout de même, j’ai bien failli provoquer une catastrophe.
François et moi, intoxiqués par notre vieux poêle à charbon,
fûmes conduits à l’aube à Cochin. Nous croyant des rescapés du suicide qu’il
fallait réconcilier avec la vie, on fit une exception aux règles hospitalières
en nous mettant dans la même chambre. Pour la tranquillité de François, je
restai inconsciente quelques heures, encornée de ma sonde à oxygène, hors d’état
de maugréer, gigoter, couiner.
Sortie de mon semi-coma, je constatai qu’on m’avait évacuée
en chemise de nuit mais avec mon sac, donc avec mes Gauloises. J’en tirai une
et fumai, béatement, tout émerveillée de voir le bout de ma cigarette pétiller
comme un petit bâtonnet de Noël. Une infirmière
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