Clopin-clopant
monomaniaque, est l’objet de la
persécution de son entourage. Non qu’on exerce une pression pour l’arracher à
son vice, mais on le couvre de cadeaux aussi convenus qu’inopportuns. Mon tabagisme
me vaut donc aux retours de voyage, de brocante, au hasard de rangements, d’héritages,
à l’occasion d’anniversaires, fêtes, commémorations, remerciements pour services
rendus, nombre d’accessoires des plus inutiles vu mon débit : étuis à
cigarettes [en argent, papier mâché, croco, paille, corne, métal (brossé, émaillé,
peint), etc.], les déjà cités briquets de poche, de table, à essence, à gaz, amadou,
silex, etc. Dans le lot se trouvent néanmoins des objets rares ou drôles :
quelques briquets qui, dès l’allumage, émettent des lumières de flipper en
folie ; un vieil étui éjecteur de cigarettes (hélas ! de trop faible
contenance) et un fume-cigarette de yachtman dont l’embout s’emboîte dans une
sorte de torpille creuse en loupe d’orme percée de trous : le skipper-fumeur
peut cloper même par force 7 ; sa cigarette ne s’éteint ni ne se mouille
et nulle étincelle ne s’échappe de ce fourreau. Reste qu’en bouche l’instrument
est des plus ridicules.
Dans un genre éphémère, certains amis me fournissent en
cigarettes exotiques : Kazbek et Spoutnik russes, Goldenbat et Hongtashan
chinoises, Intore rwandaises, Cleopatra égyptiennes, Chaminar indiennes ; d’autres
en boîtes d’allumettes indonésiennes (Palmtree), russes (Gigant de Kapoula), marocaines
(Allumaroc), mais encore Cap Gajah, Oso Polar, d’origine indéterminée.
Encouragé par quelques gloussements de plaisir, probablement
las de mon diktat de cocotte (« Tu voyages quand tu veux, mais tu me
rapportes un cadeau »), François, après m’avoir couverte de bracelets en
argent, colliers de perles, kimonos en soie, plaids en cachemire, revient
désormais du bout du monde avec un lot de boîtes d’allumettes d’hôtels, de
restaurants, de bistrots et autres lieux de probable perdition. Quand je râle, il
répond penaud que ce n’est pas faute d’amour mais de temps. C’est le seul effet
secondaire qui m’inciterait à arrêter de fumer.
Coquillages et crustacés
Je sifflote la chanson de Bardot, toujours cent mètres
derrière François (ce qui me fait dire que nous ne passons jamais nos vacances
ensemble). Il marche les pieds dans la mer, le nez au vent, l’oreille guettant
le cri des oiseaux, les yeux fixés sur la ligne bleue des eaux. Moi, j’arpente
la plage, le regard rivé sur le sable. Au bout de deux kilomètres, mon sac, mes
poches, ma capuche débordent de bouts de bois flottés, cailloux, tessons
dépolis par le ressac, coquillages, algues sèches qui rejoindront, dans l’humidité
de la salle de bains, mille et un trésors arrachés à la mer.
Les plages me comblent quand, en plus, elles m’offrent des
cadeaux qui flattent mon vice, à savoir des cendriers de nacre sous l’espèce d’huîtres
pied-de-cheval, ormeaux, palourdes géantes, ou même un dos ocre-rose de
tourteau, mais surtout des éteignoirs minéraux, ces cailloux percés d’un trou à
peine plus large que le calibre de mes cigarettes où mes mégots s’étouffent
sans puer. Rentrée à Paris, je les répartis dans tous mes cendriers, à la
maison comme au bureau. En vain. Les femmes de ménage, ignorant leur utilité, vident
leur contenu sans faire le détail. Si je dis alors à François : « On
pourrait aller à Varengeville le week-end prochain », je pense moins au
parc des Moutiers, aux tombes de Braque, Roussel et Porto-Riche (« J’aurai
peut-être un nom dans l’histoire des cœurs » !) qu’à la plage où je
pourrai me refaire en éteignoirs.
Un peu lassée de ce démarchage, j’ai récemment entrepris d’en
fabriquer en glaise, sous forme de chat enroulé sur sa pelote de ficelle, de
serpent lové, de chimères baroques, le tout rehaussé à l’aquarelle. Hélas !
ma petite ménagerie kitsch a disparu dans la poubelle, comme les cailloux. Je
dus en rabattre dans l’esthétisme au profit du pratique : une boule trouée,
percée en biais d’une longue pique de mikado qui indique la présence de cet
objet utilitaire au milieu des cendres et des mégots. Je signale aux personnes
maladroites que trois boulons de 8 mm de section encollés à la glu font le même
usage.
Grâce à moi, la technologie circumtabagique a beaucoup
progressé. Pourtant, comme je reste des heures à
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