Clopin-clopant
Belin. – Paul, évidemment, je vous demande pardon. »
Le vieux truc a plus ou moins marché. Néanmoins, c’en est
trop : je plante ma cigarette dans ma coupe, pose la coupe près de la
porte, bats ma coulpe, et me jure que jamais, au grand jamais, je ne refoutrai
les pieds dans des traquenards pareils où j’oublie le nom de mon propre frère. Où
le champagne est mauvais. Les chichis à chier. Où il n’y a pas de cendriers. Des
endroits où il ne faut ni boire, ni manger, ni fumer. Des endroits invivables.
Et merde.
« Tu t’en vas déjà ? Je ne suis venu que pour toi.
Viens, on va prendre une coupe ensemble. »
Et remerde.
Climatisation
Rhinites, torticolis, allergies diverses, dessèchement
cutané, angines, déshydratation, rhumatismes, mais encore propagation de la maladie
du légionnaire (nullement vénérienne), malgré tous ses dangers avérés ou
potentiels, la climatisation se répand à grande vitesse.
Les hygiénistes s’en soucient peu. Les fumeurs beaucoup. Car
si la climatisation diffuse à la perfection poussières, microbes et virus, elle
répartit tout aussi généreusement les odeurs. Or, si chacun s’accommode
nécessairement des remugles de popote, nul ne saurait tolérer – à juste titre –
les fumets de fumée.
En foi de quoi, les rares établissements et véhicules
autorisés aux fumeurs leur sont interdits dès les premières chaleurs, qui
correspondent aux premières mises sous tension de la climatisation.
Les fumeurs, rarement saisonniers, doivent donc se convertir
au « pleinairisme », à savoir affronter les chaleurs torrides avec
pour seuls viatiques éventails ou ventilateurs de poche, se disputer l’ombre
des arbres, les parasols des terrasses. Comme il n’est de mal dont il ne sorte
un bien, peut-être seront-ils moins exposés que d’autres en cas de guerre
bactériologique, dont le vecteur idéal est le réseau de climatisation. En temps
plus ordinaire, peut-être arrivera-t-on, entre la bronchite chronique des uns, la
perclusion rhumatismale et l’allergie acarienne des autres, à une sorte d’égalité
des désagréments.
N’empêche, l’univers du fumeur rétrécit chaque jour. Il est
ainsi amené à privilégier, sinon la nature, du moins le monde extérieur : il
préfère les marchés forains aux mégastores, les grandes balades, l’herborisation
aux voyages en car, les foires à la brocante aux salons des antiquaires, les
garden-parties aux cocktails confinés. De la même manière, il se peaufine une
sorte de culture parallèle, privilégiant les visites de jardins et de parcs, les
expositions de sculptures sur gazon, les cloîtres, les théâtres de verdure, les
concerts de rue, les grands sites archéologiques, l’architecture. Il connaît aussi
une multitude de petits musées qui peuvent se visiter, vite fait, entre deux
cigarettes et qui ont cette vertu supplémentaire de ménager les pieds et la
mémoire.
Et il privilégiera la voiture particulière, le bateau, la
marche, puisque la joie des transports en commun est désormais ternie.
Transports sans extase
Il n’est pourtant pas si loin, le temps où l’on pouvait
fumer dans les cars de tourisme, les avions. Les cendriers encastrés dans les
accoudoirs ou au dos des sièges témoignent encore de cette douce humanité. Désormais,
nous sommes privés des meilleures cigarettes : celles qui trompent l’angoisse
de la séparation, rassurent les claustrophobes et thanatophobes, occupent les
heures moroses des vols de nuit.
C’est pur bienfait pour les bronches des non-fumeurs. Bien
fait aussi pour les pieds des fumeurs. Car, en bons égoïstes, nombre d’entre
eux préféraient voyager en non-fumeurs et venir en griller une dans les travées
des espaces réservés, au point d’incommoder les fumeurs assumés, vite saturés
par cette surpopulation. Et quand les compagnies aériennes ont fait des sondages
auprès de leurs clients, les mêmes ont benoîtement coché qu’ils pouvaient très
bien se passer de tabac pendant les vols intérieurs de moins d’une heure. Mais
voilà, peu à peu, on a étendu l’interdiction des petits courriers aux moyens
courriers puis aux longs courriers. Les dernières cabines où l’on pouvait
cloper debout, à dix personnes maximum, au fond des appareils d’Air-France, ont
à leur tour disparu (je garde un souvenir ému d’un Paris-Pékin passé à fumer, boire
des cognacs et discuter avec des tabagistes invétérés et une partie de
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