Clopin-clopant
j’exhale la première
bouffée avec un pathétique « Oh ! nonnnnnnn ! ».
Deux à l’heure
Si je n’ai jamais eu envie d’arrêter de fumer, j’ai souhaité
diminuer ma consommation. Et j’y suis arrivée. Au cours d’un petit voyage, je
suis passée progressivement d’une cigarette tous les quarts d’heure à une
cigarette toutes les vingt minutes, puis toutes les demi-heures. Je n’étais pas
peu fière. J’avais dû quand même aller un peu vite en besogne car, aux abords
de vingt-cinq minutes, j’avais l’œil fixé sur l’aiguille des secondes.
Je persistai, y compris pendant un mois de travail intensif
sur un manuscrit difficile dont l’auteur zigzaguait aux quatre coins du monde.
Certes, je n’allumais plus avec la même désinvolture deux
cigarettes à la fois. Mes mégots raccourcissaient beaucoup (donc mon taux d’absorption
de nicotine et de goudron augmentait). Je comptais et recomptais ce qui restait
de tiges dans mon paquet. Surtout, j’étais rivée à ma montre, tic éprouvant
pour l’entourage. Ma belle-mère n’y tint plus, croyant que j’avais hâte de la
fuir, ce qui n’a jamais été le cas.
C’est ainsi que, par pure courtoisie, je remontai la pente
de la consommation. Je m’astreignais pourtant à une cigarette toutes les
vingt-cinq minutes. Désormais, inutile de chronométrer : j’avais le rythme
dans le sang.
Mais je voulus faire du zèle et crus compenser ce petit
surcroît de toxicité en fumant des Gauloises vertes. Comme c’était du foin, après
quelques règles de trois fastidieuses, je m’en autorisai davantage. Puis
repassai aux bleues. Au même rythme que les vertes.
J’avais perdu en voulant en faire trop. Le mieux est l’ennemi
du bien.
Le mieux, disent les toxicologues, c’est d’arrêter d’un coup.
Ils ont certainement raison. Mais il y a un tas de gens qui arrêtent d’un coup
et reprennent. Leur fermeté de caractère n’est pas en cause, ce sont des
intermittents du clope. Ainsi, dans les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins,
l’unité de plongée est-elle de soixante-huit jours. Soixante-huit jours sans
fumer. Secret militaire oblige, on sait peu de chose sur ce sevrage. La vraie
torture commencerait le soixante-septième jour. Dès l’aube, chaque fumeur sort
son paquet de cigarettes et le fixe comme une boule de cristal. Il ne voit rien,
mais il sent venir. Le lendemain, son premier geste à terre sera d’allumer une
cigarette. Il en tire une bouiffe et l’écrase aussitôt : apparemment, il
est aussi difficile de s’y remettre que de s’arrêter.
Dès lors, pourquoi repiquer ? Parce que l’abstinence n’est
pas dans la nature.
Glossaire de la clope
Toxicologues, intoxiqués et romanciers sont handicapés par
la même difficulté : l’univers de la cigarette est pauvre en vocabulaire. Encore
les mots viennent-ils essentiellement de l’argot, ce qui en dit long sur son
caractère populaire.
Le beau monde – qui ne fume pratiquement plus – doit se
contenter de demander une cigarette, de la fumer et de l’éteindre. Il ne
produit même pas de mégots : le terme relève du vocabulaire familier. Dans
ce milieu-là, on ne saurait mégoter que sur l’argent. On pourrait, éventuellement,
parler de ses Benson comme de sa Bentley ou de son petit Chanel, mais que c’est
vulgaire.
L’homme de la rue est plus prolixe. Il peut, sans état d’âme,
vous taper d’une Camel ou d’une Gauloise (dite plus familièrement goldo). Il
peut même ne pas la nommer du tout (« Tu m’en files une ») ou la susciter
d’un geste en agitant son index et son majeur comme des ciseaux. Il peut
griller une sèche, une clope, une cousue, une tatoué, une pipe ; il peut
tirer une bouiffe de sa tige, une taffe de sa cibiche. Et le jeune, une bouffée
de sa nuigrave. Un fumiste peut nous taxer d’une américaine et refuser, fumasse,
nos brunes. Ce que ne fera jamais un ado fumeux s’adonnant à la fumette : il
préfère l’herbe tout court à l’herbe à Nicot, au perlot, au gris.
En matière de lexique, c’est à peu près tout, autrement dit
des clopinettes.
Si bien qu’à force de répétitions dans leurs communiqués
scientifiques, diatribes et opuscules, les toxicologues, les intoxiqués – et
les écrivains – passent pour des déficients mentaux. Alors même que le tabac
est censé être un excitant et l’absence de tabac une garantie de la
restauration des facultés intellectuelles, ils sont tous
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