Clopin-clopant
accordait
à la chair à canon tout à la fois un dernier plaisir et un stimulant. Ce n’était
pas seulement en Quatorze.
De même, avant de passer sous la guillotine, le condamné à
mort se voyait-il offrir un verre de rhum et une cigarette.
D’aucuns diront qu’en ces circonstances extrêmes il est
normal de ne pas trop se soucier de la santé de ceux qui vont mourir. Les
autres avanceront qu’il conviendrait que le condamné, quel qu’il soit, affronte
l’angoisse en pleine possession de ses moyens et garde son « capital santé »
intact jusqu’à la fin.
Mais, étant établie l’infinitésimale proportion des rescapés
dans les exécutions capitales, les plus stricts hygiénistes et moralistes
acceptent, en principe, ce rituel du dernier verre et de la dernière cigarette.
Au nom de la miséricorde. Ou de la vertu : ainsi, au seuil de la mort, le
condamné a-t-il l’occasion, une ultime fois, de regretter certains plaisirs de
la vie.
Cette tradition a perduré dans presque tous les pays jusqu’à
l’abolition. Il s’est quand même trouvé un État américain qui pratiquait non
seulement encore la peine de mort mais un antitabagisme si féroce qu’on refusa
au supplicié une dernière cigarette au prétexte qu’il se trouvait dans un local
non-fumeur.
La seule fumée autorisée y était sans doute celle qui
provient des circuits de la chaise électrique.
Comme il n’est pas toujours établi que les condamnés à mort
sont coupables, ni avéré que la peine capitale est une consolation pour les uns,
un facteur dissuasif pour les autres, on peut considérer que la cause de la
peine capitale ne se trouve pas grandie de cette mesquinerie.
Honni soit qui mal y pense
Au nom de la cigarette furent perpétrés moins de crimes que
de délits mineurs, mais pas toujours insignifiants, comme en témoigne une
petite affaire londonienne.
Le patron de son pub ayant aboyé le traditionnel « last
order », Michael Fagan commande sa dernière pinte de bière et tire de
sa poche son paquet de Players. Lequel est vide. Il y voit un signe. « Dernière
bière de la soirée. Dernière cigarette de ma vie », annonce-t-il à la
cantonade. Pour fêter son retour à la salubrité, il décide de rentrer à pied
chez lui. Mais plus il avance, plus il a envie de fumer. Ah ! fumer en
marchant dans le silence d’une nuit de juillet ! Si encore il pouvait
lutter contre une vraie cigarette… Mais contre l' idée d’une cigarette…
Il longe une grande bâtisse, voit de la lumière à une
fenêtre, imagine aussitôt quelqu’un en train de fumer en bouquinant au lit.
« Je vois déjà des clopes partout, ça promet ! » Mais c’est
irrépressible. Comme dans un rêve, il se retrouve dans la chambre à coucher d’une
femme, plus très jeune, plongée dans un journal hippique. « Vous n’auriez
pas une cigarette, par hasard ? » Elle le regarde, impassible, puis
sort de son lit avec beaucoup de dignité, passe dans la pièce voisine et lui
tend un paquet de Chesterfield. « C’est ma sœur qui l’a laissé. C’est tout
ce que j’ai. – C’est parfait. Vous permettez que j’en grille une avec vous ?
– Je ne fume pas, mais faites donc, je vous en prie. » Il s’assied sur le
lit, elle replie ses jambes. « Vous comprenez, j’avais décidé d’arrêter ce
soir… – Oui, je sais, c’est dur. Ma sœur n’arrête pas de dire ça. » Il
fume, béat. Discrètement, elle reprend son journal pour le laisser sans honte à
sa première défaillance. Il se lève. Elle esquisse un mouvement. « Ne me
raccompagnez pas, je prendrai le même chemin. Bonsoir. Merci encore. » Il
lui fait un petit signe en se disant que cette bonne femme lui rappelle quelqu’un.
Au matin, le 9 juillet 1982, tous les tabloïds britanniques,
bientôt relayés par la presse internationale, font leur une sur ce très banal
incident. C’est que le home où s’est introduit Michael Fagan est
Buckingham Palace et l’hôte, la reine d’Angleterre.
L’affaire fit scandale. Ce type aurait pu être un
cambrioleur, un violeur, un régicide, pire, un espion. C’était donc miracle que
la reine n’ait été exposée qu’au tabagisme passif.
La petite marchande d’allumettes
Avec Margrethe du Danemark, la petite marchande d’allumettes
d’Andersen n’aurait pas chômé : la reine fume. Et ça ne fait pas la une
des journaux : c’est une tabagiste notoire et notoirement démocratique puisqu’elle
fume en
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