Clopin-clopant
public. Je suis bien placée pour le savoir car j’ai fumé avec elle, à
deux reprises et trois ans de distance, dans le jardin d’hiver de la glyptothèque
de Copenhague. Notons que je ne me vante pas : je témoigne.
Donc la reine fume, en toute impunité. Ça ne pouvait pas
durer. Et en effet, un épidémiologiste belge alarmé par le record européen de
tabagisme (et de mortalité subséquente) des Danoises se fendit en mars 2001 d’une
communication au Lancet. Il y accusait la reine de fumer au su et au vu
de son peuple et, par là, de donner un fatal exemple à ses sujettes.
L’histoire ne s’arrête pas là car, si Elisabeth II d’Angleterre
a fait sienne la devise de Disraeli : « Never complain, never
explain », Margrethe de Danemark est plus pétardière. Ulcérée par
cette accusation, elle convoqua une conférence de presse pour affirmer que, si
les Danoises fumaient, ce n’était pas par imitation mais tout simplement qu’elles
y prenaient plaisir et qu’elles n’avaient de mauvaises leçons à recevoir de
personne.
Je m’étonne qu’elle n’ait pas obtenu le soutien des
féministes qui auraient dû épingler l’épidémiologiste manifestement sexiste
puisque, à ses yeux, les hommes ne semblaient pas susceptibles de subir l’influence
d’une dame, fût-elle leur souveraine.
En revanche, je me réjouis que l’épidémiologiste ait ignoré
que Margrethe écrivait des livres pour enfants. Il aurait bien été capable d’exiger
l’annulation de ses contrats d’édition sous prétexte qu’elle risquait de pervertir
la jeunesse.
Que « l’aide de Dieu, l’amour du peuple, la force du
Danemark » (devise de la couronne) protègent les bronches de Margrethe. Et
qu'elle sache qu’en France, un temps, le tabac s’appela « l’herbe à la
Reine ».
8,7/7,9
Cette ingérence scientifique dans les affaires danoises
conforta peut-être la réticence du royaume à rejoindre l’Union européenne
incarnée par l’épidémiologiste belge. Sans compter que la CEE semblait vouloir
réformer les cigarettes.
En effet, en juin 1992, au titre des lois européennes (c’était
écrit sur le paquet), la Seita s’autorisa à réduire ses brunes au calibre des
blondes, lésant les fumeurs de 9,2 % de tabac sans diminution équivalente
de prix, ce qui relevait à tout le moins du service de la répression des
fraudes.
J’envoyai aussitôt à la Seita une de ces interminables
lettres de protestation outragée dont j’ai le secret, en rappelant que « Gitanes
et Gauloises sont des objets culturels, immortalisés par des poèmes, des livres,
des chansons, des films, des tableaux. Qu’au même titre qu’un cigare, son
calibre compte autant que son goût : entre une Boyard et une Gauloise, il
y avait un choix à travers lequel se définissait une préférence, s’exprimait
une singularité. Cette identité du fumeur de brune, vous y avez porté atteinte
avec une brutalité qui n’a d’égal que votre inculture ».
À ma grandiloquence, la Seita répondit par quelques sobres
lignes, se réjouissant que je n’aie pas relevé la moindre différence de goût. Je
m’alarmai aussitôt d’une possible modification des agents de texture. Avec des
faux culs pareils, on peut s’attendre à tout.
Je ne fus pas la seule à protester. La presse, dont Libération ,
confirma l’indignation des amateurs de brunes. Le quotidien se fit aussi l’écho
du courroux de la CEE en titrant : « Seita, les brunes maigrissent
sur le dos de Bruxelles. » Et de poursuivre : « Le fabricant
attribue abusivement la cure d’amincissement des Gauloises et des Gitanes à la
réglementation européenne. Et Bruxelles s’irrite de passer à nouveau pour le
fossoyeur du patrimoine national. » Au concours de l’emphase, je m’étais
fait coiffer.
Dans le corps de l’article, la scélérate Seita avouait s’être
délibérément payé la pipe du fumeur : « On a voulu faire évoluer le
produit […] sans que le consommateur s’en aperçoive. » C’était raté.
L’ironie de l’actualité voulut que l’article de Libération fût daté du 18 juin 1992. Quelques jeunes gaullistes purent s’en émouvoir, bien
à tort : le général fumait. Des photos en témoignent ainsi que sa « fiche
de demande de carte de tabac » datée du 3 janvier 1945 (reproduite par Le
Figaro le 23 octobre 1968). Je donne ces précisions car, depuis la loi Évin,
toute association entre de Gaulle et pétun est
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