Comment le jeune et ambitieux Einstein s'est approprié la Relativité restreinte de Poincaré
et inconnu
employé du bureau des brevets de Berne, la primeur de la Relativité restreinte.
En lisant le texte d’Einstein, Poincaré sera sans doute heureux de voir que ses
idées sont reprises par la jeune génération. Il se dit qu’il n’y a rien de
vraiment nouveau dans le texte d’Einstein, et il passe à d’autres problèmes. Ainsi
que nous l’avons vu précédemment, Poincaré regardait les jeunes chercheurs comme
« de futurs compagnons d’armes » Il leur donnait même ses propres
idées pour leur thèse de doctorat.
Lorsque, en 1912, l’École polytechnique de Zurich se prépare
à offrir une chaire à Einstein, les professeurs demandent à Poincaré de donner
son avis sur le candidat. Poincaré fit son éloge :
Monsieur Einstein est un des esprits les plus originaux
que j’ai connus ; malgré sa jeunesse, il a déjà pris un rang très
honorable parmi les premiers savants de son temps…
L’ingratitude flagrante d’Einstein
Par contre, on ne peut pas mettre au crédit d’Einstein qu’il
eut jamais la moindre reconnaissance envers Poincaré. Il fut au contraire d’une
ingratitude la plus noire. Après s’être approprié les idées et les recherches
de Poincaré, Einstein ne mentionnera jamais les publications de Poincaré dont
il s’était servi.
Évidemment, le jeune Einstein n’allait pas se dévaloriser
lui-même en révélant à tout venant qu’il s’était entièrement inspiré des idées
de Poincaré. Il fallait absolument que la Relativité restreinte lui permette d’assouvir
son ambition : devenir professeur d’université. Des différents articles qu’il
avait publiés, c’était en effet le seul pour lequel quelqu’un manifesta assez
rapidement un certain intérêt.
Ce quelqu’un n’était pas n’importe qui, et c’est ce qui
permit à la Relativité restreinte de susciter un certain intérêt dans le milieu
scientifique. Il s’agissait de Max Planck, le fondateur de la physique
quantique, professeur à l’université de Berlin. Planck écrivit à Einstein pour
lui demander des éclaircissements sur certains points qui lui semblaient
obscurs.
Planck, qui recherchait l’absolu en science, reconnut
lui-même dans son autobiographie scientifique l’attrait qu’il eut pour la
Relativité : « Comme le quantum d’action dans la théorie quantique, la
vitesse de la lumière est le point central, absolu, de la théorie de la
Relativité ». Cette attirance de Planck pour la théorie de la Relativité
est encore décrite ainsi : « Pour moi, son attrait résidait dans le
fait que je pus tenter d’en déduire des quantités absolues, invariantes, découlant
de ses théorèmes ». Or c’est Poincaré qui, dans son article publié en 1906
dans les Rendiconti, a démontré l’invariance de la forme quadratique
fondamentale de la Relativité.
En 1919, le mathématicien Mittag-Leffler demanda à Einstein
une contribution au volume des Acta Mathematica dédié à Poincaré. Plus
de quatre mois plus tard, Einstein répondit qu’il avait reçu la lettre de
demande avec beaucoup de retard et que « il est peut-être trop tard
maintenant ». Mittag-Leffler répondit qu’il était encore temps. Deux mois
et demi plus tard, Einstein répondit que ses obligations l’empêchaient de
contribuer au volume.
En décembre 1920, Einstein répondit à une question du
correspondant du New York Times à Berlin sur l’origine de la Relativité,
en expliquant que les mouvements rapides sont incompatibles avec la relativité
galiléenne ; il ajouta : « Cela conduisit le professeur
hollandais Lorentz et moi-même à développer la théorie de la Relativité
restreinte ». Pas le moindre mot sur Poincaré.
Une curieuse anecdote est racontée par Abraham Pais [Pa1] :
« Au début des années cinquante, j’ai demandé un jour à Einstein en quoi l’article
de Palerme de Poincaré avait affecté sa pensée. Il me répondit qu’il ne l’avait
jamais lu ». A. Pais prête alors une copie de l’article à Einstein et n’en
entend plus parlé. Quelque temps après la mort d’Einstein, il demanda à Helen
Dukas, qui avait fait office d’intendante chez Einstein, de bien vouloir
rechercher le fameux article qu’il avait prêté. Il avait complètement disparu. Si
Einstein l’avait lu, peut-être l’avait-il ensuite jeté à la corbeille par dépit.
La seule reconnaissance d’Einstein de sa dette envers
Poincaré eut lieu deux mois avant sa mort. La
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