Comment le jeune et ambitieux Einstein s'est approprié la Relativité restreinte de Poincaré
lecture de l’article de Palerme
de Poincaré lui avait peut-être causé quelques remords. Dans une lettre à C. Seelig
[Se1], Einstein écrira : « Lorentz avait déjà reconnu que les
transformations qui portent son nom étaient essentielles à l’analyse des
équations de Maxwell, et Poincaré approfondit davantage cette idée… » C’était
un bien faible hommage tardif.
Le malaise d’Einstein
Einstein sait qu’il n’a pas grand-chose à perdre en
reprenant à son compte les travaux de Poincaré. Les textes de celui-ci sont en
effet épars et certains sont largement oubliés. Sans doute Einstein sait-il que
c’est une escroquerie de ne pas rappeler l’origine des travaux dont il se sert,
et il en ressentira peut-être un certain malaise toute sa vie.
Dans sa biographie d’Einstein, François de Closets [De1] suggère
ce malaise :
Sans doute devinait-il [Einstein] que Poincaré tenait en
main toutes les pièces du puzzle, qu’à tout moment il pouvait les assembler et
se poser en père de la relativité. Lui rendre hommage n’était-ce pas prendre le
risque de réduire son propre rôle à celui d’assembleur, de metteur en scène de
la nouvelle théorie ? On ne saura jamais si l’omission de Poincaré fut
délibérée au terme de semblables calculs ou bien si elle ne fut qu’un acte
manqué, fruit d’un malaise jamais élucidé dans son esprit.
En fait, Einstein à profité de l’état d’esprit de Poincaré
dont la grandeur d’âme se contente « de la joie d’avoir contemplé la
vérité face à face ». Par contre, à cette époque, l’ambition du jeune
Einstein et son opportunisme le poussent à prendre délibérément le risque de s’attribuer
les travaux d’autrui. Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première
pierre.
Les insuffisances d’Einstein en mathématique
Peut-être Einstein était-il jaloux de la supériorité en
mathématique de Poincaré qui est incontestablement reconnu comme un créateur
dans diverses branches des mathématiques. Einstein n’a rien créé dans ce
domaine.
Dans son Autoportrait [Ei4], Einstein essaie de
justifier ses insuffisances en mathématique :
Le fait que j’ai en quelque sorte négligé les
mathématiques n’était pas seulement dû à ma préférence marquée pour les
sciences naturelles, mais aussi à un fait que j’ai réalisé assez tôt : les
mathématiques se divisent en de très nombreuses branches dont chacune peut
absorber la courte vie qui est la nôtre. […] Très probablement aussi, mon
intuition dans le domaine mathématique n’était pas assez forte et ne me
permettait point de différencier clairement entre ce qui est essentiel, ce qui
constitue les fondements, et l’érudition plus ou moins superflue.
Lors du Congrès Solvay de Bruxelles, en novembre 1911, un « accrochage »
en mathématique a lieu entre Poincaré et Einstein. Au cours d’un débat, Lorentz
fait remarquer à Einstein que la façon dont il parle de là probabilité W de
trouver une particule à une hauteur z donnée n’est pas correcte :
Pour être rigoureux, on doit parler de la probabilité de
trouver la particule entre z et z + dz, ce qui fait que cette
probabilité n’est pas W mais Wdz.
Elémentaire, mon cher Einstein.
Einstein rétorque à Lorentz :
Quel que soit l’intervalle dz, on obtient enfin de
compte, la même loi pour l’entropie.
Poincaré réplique laconiquement :
Quand on définit la probabilité, le choix de l’élément
différentiel n’est pas arbitraire. On doit obligatoirement choisir un élément
de l’espace des phases.
Sentant venir le danger, Lorentz intervient de nouveau :
Monsieur Einstein […] parle simplement de la probabilité
que la coordonnée z ait une valeur donnée.
Alors Einstein renchérit :
J’utilise une définition purement phénoménologique de la
probabilité, indépendante de toute théorie élémentaire sous-jacente.
Poincaré lui répond immédiatement :
Dans toute théorie que l’on peut souhaiter introduire
pour remplacer la mécanique ordinaire, au lieu d’un élément de l’espace des
phases, il faut au moins choisir un invariant comme élément différentiel.
Ce jour-là, Einstein a dû haïr un peu plus Poincaré. Cela
faisait en effet six années qu’Einstein ne se sentait pas à l’aise vis-à-vis de
Poincaré. Lorsqu’on dépouille quelqu’un, on peut avoir mauvaise conscience.
Minkowski s’approprie l’espace-temps de
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