Comment le jeune et ambitieux Einstein s'est approprié la Relativité restreinte de Poincaré

L’un
des amis d’Einstein, Maurice Solovine [So2], écrira à propos du livre de
Poincaré :
    C’est un livre qui nous a profondément impressionnés et
tenus en haleine pendant de longues semaines.
     
    Einstein dévore les journaux scientifiques
    Einstein connaissait bien les travaux sur l’électrodynamique,
et en particulier ceux de Lorentz et de Poincaré, bien que certains biographes
prétendent le contraire.
    Durant l’année 1904, Einstein va s’entendre avec les éditeurs
de la plus prestigieuse revue scientifique d’Allemagne de cette époque, Annalen
der Physik, pour leur fournir régulièrement des comptes rendus d’articles
parus dans divers journaux scientifiques de pays étrangers.
    Einstein choisit des revues provenant d’Allemagne, de
Grande-Bretagne, d’Italie et, évidemment, de France, puisqu’il connaît bien le
français. Parmi celles-ci figure les Comptes rendus des séances de l’Académie
des sciences de Paris.
    En 1905, Einstein va rédiger vingt et un résumés analysant
les articles parus récemment. Ils seront publiés, par groupe de cinq ou six, dans
le supplément Beiblätter zu den Annalen der Physik.
    Une autre source de renseignements est celle de son ami
Michele Besso ; une véritable encyclopédie vivante qui s’intéresse à tout
et qui travaille comme expert au même bureau des brevets qu’Einstein.
     
    Einstein est un opportuniste
    Les idées que les biographes d’Einstein se faisaient jusqu’à
présent sur la véritable mentalité du jeune Einstein dans les années 1905 est
en train d’évoluer. Ce n’est qu’à partir de 1987 que le premier tome des Papiers
d’Albert Einstein fut publié par l’université de Princeton, aux USA. Divers
documents et lettres d’Einstein avaient en effet été gardés secret par les
exécuteurs testamentaires d’Einstein, Helen Dukas et Otto Nathan.
    Robert Schulmann, un pionnier des recherches en cours sur
les papiers d’Einstein, a donné une appréciation sur ce dernier assez
surprenante. C’est Denis Brian, qui dans son ouvrage [Br1] paru en français en
1997, rapporte le sentiment de Schulmann :
    Je crois qu’il [Einstein] était beaucoup plus
opportuniste qu’on l’imagine […], il faut prendre ce facteur en considération, au
sens neutre du mot opportuniste.
    Peut-on être opportuniste au sens neutre ? En ce qui
concerne la rédaction d’un article sur la Relativité, Einstein semble faire
preuve d’un opportunisme qui coïncide bien avec ses intérêts immédiats, à
savoir faire des publications pour décrocher un poste universitaire. L’article
du 5 juin de Poincaré lui montre qu’il est urgent et opportun de publier sur ce
sujet.
     
    Course de vitesse pour terminer un article
    À Paris, Poincaré est arrivé au terme de ses recherches sur
la dynamique de l’électron. Il présente un cours résumé de son travail lors de
la séance du 5 juin 1905 de l’Académie des sciences de Paris. Cette note est
immédiatement imprimée dans les Comptes rendus des séances de l’Académie. Deux
jours plus tard, le texte imprimé est envoyé par courrier aux abonnés du monde
entier. Un mathématicien allemand, K. Grimm, donnera un commentaire de deux
pages de l’article de Poincaré quelques jours plus tard, dans le Jahrbuch
uber die Fortschritte der Mathematik [Grl].
    À quelle date Einstein a-t-il connaissance du texte de
Poincaré ? Sans doute peu après le 5 juin car il a les Comptes rendus sous
la main grâce à son travail de rédaction pour le supplément des Annalen der
Physik. Il se met alors soudainement à travailler fébrilement à l’article
qu’il avait commencé à partir de ses notes antérieures. Il se rend compte en
effet que Poincaré vient de lui couper l’herbe sous les pieds. Einstein pense
cependant qu’il n’est peut-être pas trop tard pour présenter la même chose en
occultant les origines de son article.
    Aura-t-il le temps de finir rapidement son article ? Lors
d’une conférence qu’Einstein donna à Kyoto [Og1], en décembre 1922, on trouve
une réponse concernant la rapidité avec laquelle il termina son article :
    Cinq semaines après avoir reconnu ce fait [que le temps n’est
pas défini de manière absolue, mais qu’il existe une relation indissociable
entre le temps et la vitesse d’un signal], la théorie actuelle de la Relativité
restreinte était achevée.
    Ainsi, au cours de cette conférence, Einstein avoue qu’il
vient de se remémorer les idées