Comment le jeune et ambitieux Einstein s'est approprié la Relativité restreinte de Poincaré

de Poincaré sur le temps et la synchronisation
des horloges, s’imaginant peut-être les avoir découvertes lui-même. Ceci se
serait passé deux semaines environ avant le 5 juin 1905, puis Einstein aurait
pris connaissance de l’article de Poincaré paru dans les Comptes rendus. Durant
les trois semaines suivantes, il a donc réussi à terminer son article, puisque
c’est Einstein lui-même qui reconnaît qu’il ne lui a fallu que cinq semaines au
total pour écrire son fameux texte.
    Son article arrive le 30 juin à la revue qu’il connaît bien : Annalen der Physik. Lorsque son manuscrit est terminé et envoyé, sa
femme le convainc de prendre quelques jours de repos, et ils partiront voir les
parents de Mileva Marie à Novi Sad.
     
    Qui a rédigé l’article d’Einstein ?
    Le professeur Wilhelm Röntgen, qui découvrit les fameux
rayons X et obtint le premier prix Nobel de physique en 1901, reçoit le
manuscrit d’Einstein portant sur l’électrodynamique des corps en mouvement. Röntgen
charge l’un de ses assistants, le physicien russe Abram Joffe, futur membre de
l’Académie des sciences d’URSS, d’examiner l’article.
    Or, ce dernier rapportera, dans ses Souvenirs d’Albert
Einstein, que l’original de l’article, détruit depuis, était conjointement
signé Einstein-Marie. La femme d’Einstein aurait donc participé à la rédaction
de l’article ? Ce n’est pas impossible puisqu’elle avait un bon niveau
scientifique, ayant également suivi les cours de l’École polytechnique de
Zurich.
    Quoi qu’il en soit, Joffe examine le manuscrit et constate
que son auteur principal est connu des Annalen der Physik. Il en
recommande donc la publication.
    D’autres personnes ont-elles aidé Einstein à rédiger son
article ? Certainement, puisque à la fin de son texte, Einstein remercie
explicitement son ami Besso :
    En terminant, je tiens à dire que mon ami et collègue
Michele Besso m’a constamment prêté son précieux concours, pendant que je
travaillais à ce problème, et que je lui suis redevable de maintes suggestions
intéressantes.
    Qu’a-t-il fait exactement ? Besso était certainement un
homme extrêmement doué. Son palmarès universitaire est même plus brillant que
celui d’Einstein. À l’âge de dix-sept ans, Besso fréquenta l’université de Rome
où il obtint d’excellents résultats en mathématique et en physique, ainsi que
par la suite à l’École polytechnique de Zurich. Ses lettres à Einstein [Ei5] montrent
qu’il est parfaitement au courant de la Relativité et des recherches de l’époque
en physique. A-t-il fait des calculs pour Einstein afin de l’aider à terminer
rapidement son article ? Quelles sont les suggestions dont parle Einstein ?
Einstein face à Poincaré
    Sa vie durant, Einstein se proclamera le seul créateur de la
Relativité restreinte. Pratiquement jamais, sauf deux mois avant sa mort, il ne
rendra hommage à Poincaré. Dès son article de 1905, Einstein ne mentionne aucun
des travaux de recherches dont il est redevable ; il ne cite personne
comme s’il avait tout inventé par lui-même, alors que même ses biographes les
plus inconditionnels reconnaissent qu’il a puisé dans les travaux de recherche
de Poincaré. Sa technique, consistant à tirer toute la couverture à lui, va
être payante car il va bénéficier de la modestie de Poincaré.
     
    Poincaré ne voyait que l’intérêt de la science et non le
sien
    Dans son article Sur la dynamique de l’électron [Po3],
Poincaré pose la transformation fondamentale de la Relativité restreinte en
disant : « … une certaine transformation (que j’appellerai du nom de
Lorentz)… » Or nous avons vu que c’est Poincaré qui, en réalité, a donné
sa véritable interprétation à cette transformation. Cependant ce sont les
travaux de Lorentz qui ont incité Poincaré à s’intéresser à la dynamique de l’électron.
    Poincaré reste fidèle à sa philosophie personnelle que Henri
Vergne a mise en relief en rappelant que son maître avait écrit : « Que
peut être la satisfaction de donner son nom à une découverte, auprès de la joie
d’avoir contemplé la vérité face à face ». C’est ce qu’il fait en nommant transformation
de Lorentz la formule qu’il vient de découvrir et dont il « contemple »
la profonde vérité.
    En 1905, Poincaré est déjà au faîte des honneurs tant en
mathématique qu’en physique. Il ne va pas disputer à un jeune