Comment vivaient nos ancêtres
car l’on y fabriquait de petits gâteaux coniques ainsi dénommés. Pour les autres, il s’agissait au contraire de l’Italie du Sud, où l’on aurait eu un volcan magique, crachant macaronis, viandes et saucisses, que les gens des environs évidemment se disputaient.
Tout ce que l’on peut dire est que le nom semble bien venir de l’italien cuccagna, signifiant dispute, origine qui se trouve en parfaite harmonie avec le fameux « mât de cocagne », présent aux foires et aux fêtes patronales. En haut de ce mât, généralement enduit de savon ou d’huile, étaient comme on le sait suspendus aliments et friandises, que l’on devait tant bien que mal monter décrocher. Une opération qui demandait bien des efforts, et qui mettait en concurrence les candidats, qui s’en disputaient alors l’ascension.
Je pense à Antoine Duverne, fils de riches paysans morvandiaux qui, de faillites en inventions, court toute sa vie après la fortune et traverse l’Atlantique dans les années 1875, persuadé de l’y trouver enfin. Il meurt finalement seul et à demi clochard le jour de Noël 1882 dans un hôpital parisien. Je pense à deux autres Morvandiaux, partis pour l’Argentine et qui font venir auprès d’eux un de leurs neveux pour l’associer à leur réussite. Le gars s’embarque, traverse l’Océan, arrive en Argentine à moitié « déboussolé », ne parvient pas à retrouver ses oncles mais, on ne sait trop comment, revient dans son village pour y vivre à moitié prostré le reste de ses jours. Je pense aussi à « l’Oncle Jules », de Maupassant, que toute la famille croit bien installé aux États-Unis et qu’elle reconnaît avec stupeur un dimanche d’été, dans le personnage d’un misérable écailleur d’huîtres sur un bateau côtier. Si certains oncles d’Amérique y ont heureusement réussi, tous n’y sont pas allés.
D’ailleurs pourquoi partir si loin ? Ne disposait-on pas autrefois en France d’un Far West bien à soi avec Paris ? Paris n’assure peut-être pas des fortunes à l’échelle de celles que font miroiter les terres lointaines aux aventuriers qui n’ont rien à perdre en quittant leur village. Mais Paris promet, à qui sait travailler et économiser, de quoi améliorer déjà largement l’ordinaire. Au début, la ville n’attire que les populations des régions voisines : Picardie, Normandie, Orléanais, Beauce et Brie, Champagne. Mais au fil des siècles elle va voir arriver des grounes entiers venus de plus loin, à pied, par les routes, balluchon sur l’épaule, comme nous l’avons déjà vu. Chacun travaille dur, mais réussit. Il n’est qu’à voir les villas que les bistrotiers parisiens ont fait construire dans la région d’Espalion, en Rouergue, ou les fameuses « maisons de lait » des filles du Morvan.
Paris tient donc quelquefois ses promesses, à condition de pouvoir faire le voyage en un temps où le chemin de fer n’existe pas. Rares sont les villes de province qui offrent les mêmes chances et encore moins les ateliers et les usines qui s’implantent partout en France au XIX e siècle et embauchent à tour de bras. Nombreux sont les paysans qui quittent leur terre trop exiguë pour travailler à l’usine. Se rendent-ils compte, ce jour-là, qu’ils ne pourront plus revenir en arrière, qu’ils quittent pour toujours le monde de leurs ancêtres ? De Paris, on peut toujours revenir au pays ou à la ferme. De l’usine, non. Sauf exception, l’usine n’offre jamais la réussite.
ÉCHELLE SOCIALE ET MONTAGNES RUSSES
Pour un généalogiste, une des plus passionnantes aventures qui lui est donnée de revivre à travers les archives est sans nul doute de suivre l’ascension sociale d’une famille. Pour ma part, ce n’est pas les belles alliances qu’une grande famille contracte une fois qu’elle a réussi et qu’elle est établie qui retiennent mon attention, mais plutôt le travail opiniâtre fourni par cinq ou six générations, pour en arriver là. Lycéen, je m’intéressais davantage à l’histoire de Rome, petite cité qui montait, qu’à la Rome de César ou d’Auguste. Généalogiste, je m’attache à ces laboureurs ou à ces marchands, décidés et courageux, qui vont magistralement réussir à sortir leur famille du néant et de l’anonymat.
J’ai déjà eu l’occasion d’écrire et d’étudier cette formidable aventure de l’ascension sociale sous l’Ancien Régime, de cette progression lente et
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