Complots et cabales
deux objets échangés ne sont pas de valeur identique, ni même payés de la même monnaie... D'une part, Votre Majesté abandonnerait àl'Espagne deux villes fortes dont l'une, Casal, est de reste assiégée, sans aucun succès, par l'Espagnol depuis un an. Et comme si Casal n'était pas suffisant, nous devrions livrer aussi Pignerol que nous venons de conquérir. L'une et l'autre de ces places sont construites à chaux et à
sable et possèdent une immense valeur stratégique. Et que nous donnerait-on en échange ? La promesse de ne pas assiéger Mantoue! Vous avez bien ouÔ, Sire, une promesse! Une simple promesse écrite sur beau parchemin et décoré
d'un sceau princier à coup s˚r très élégant. Monnaie bien légère, Sire, comparée aux solides murailles de Casal et de Pignerol, et qui ne co˚te guère à celui qui la donne, puisque la feuille de parchemin sur laquelle elle est écrite, même un enfant pourrait la br˚ler à la chandelle.
- Sire, dit Mazarini, peux-je répondre à l'exposé de Son …minence le cardinal de Richelieu ?
- De gr‚ce, Monsieur, répondez, dit Louis avec une courtoisie un peu froide.
- …minence, dit Mazarini, il n'a pas échappé au SaintPère que les conditions du général Coalto 1 étaient léonines, 1. Coalto commandait l'armée des Impériaux et le marquis de Spinola commandait l'armée espagnole qui assiégeait Casal, défendue parToiras.
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comme je me suis permis de le dire moi-même avant que de les exposer.
Toutefois, il y a un grand avantage à traiter, même si on n'accepte pas les conditions de l'adversaire. Aussi longtemps qu'on parle, on ne se bat point, et le temps même, en passant, peut modifier l'aspect des choses.
C'est ainsi que, me plaçant du point de vue de la France - ce que je fais très volontiers, Sire -, je dirais qu'il ne me semble pas qu'il soit de votre intérêt, Sire, de faire à Coalto la réponse roide, tranchante et déprisante que ces propositions assurément méritent.
¿ ouÔr ce discours, je n'en crus pas mes oreilles. Le pape avait donc deux politiques : l'une publique, favorable àl'Espagne ; l'autre, secrète, favorable à la France. Et à mon sentiment, Mazarini allait plus loin encore, il nous proposait à mi-mot et sotto voce les services que sa personne pouvait nous rendre.
Cette. nuance n'échappa ni à Louis ni à Richelieu, et ils commencèrent à
considérer Mazarini avec d'autres yeux.
- Monsieur, dit Louis, je vous remercie des bonnes dispositions que vous montrez à l'égard de ma personne et de mon royaume. Je vous en sais le plus grand gré. quant à vos conseils qui me semblent sages, je discuterai avec mon cousin le cardinal de Richelieu, et aussi avec mon Conseil, du parti àprendre, et dès qu'il sera pris, je le communiquerai à Coalto et en même temps, par votre truchement, à Sa Sainteté.
Mazarini avait tout lieu d'être satisfait de ces paroles, puisqu'elles admettaient implicitement que le pape et lui-même étaient acceptés par nous comme médiateurs en cette affaire. Il traduisit en italien au cardinal Barberini, en les résumant beaucoup, les propos que nous venions d'échanger, Barberini ne lui prêtant de reste qu'une oreille distraite, probablement parce que ses mérangeoises étaient encore tout absorbées par les rêves que l'on sait.
Dès qu'ils furent tous deux départis, le cardinal échangea quelques paroles sotto voce avec le roi, ce qui fit que je m'éloignai d'eux et allai jeter un oeil à la fenêtre. J'ouÔs alors Louis appeler Beringhen et lui commander d'aller, sans tant
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languir, chercher le grand chambellan, lequel ne devait pas être bien loin, car il fut là en un battement de cils.
Le roi lui dit alors d'aller prévenir les deux reines qu'il quittait le lendemain Lyon pour Grenoble avec son armée, mais qu'il voulait qu'elles demeurassent à Lyon o˘ elles seraient assurément mieux accommodées qu'elles ne pourraient l'être ailleurs. quant à Monsieur de Marillac, le roi lui fit demander ce qu'il préférait: ou demeurer à Lyon, ou l'accompagner à
Grenoble. ¿ quoi Monsieur de Marillac, prétextant son grand ‚ge et ses infirmités, répondit qu'il aimait mieux demeurer à Lyon. En réalité, notre archidévot désirait rester auprès de la reine-mère pour l'ancrer davantage dans ses refus de toute guerre avec l'Espagne.
Le roi quitta Lyon avec son armée pour Grenoble le sept mai, et je suivis le long cortège avec mes Suisses et Nicolas, lequel,
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