Complots et cabales
et se retirent, radieuses, chacune dans sa chacunière.
Le deuxième acte de la duperie se déroula en Paris au Petit-Luxembourg o˘
loge la reine-mère. Elle m'est contée par Fogacer qui apprend tôt le matin (le dix ou le onze, luimême ne saurait le préciser) que la reine-mère a fait savoir àla Cour qu'elle ne recevra personne ce matin-là, hormis le roi car elle a, dit-elle, pris médecine la veille. La Zocoli, car c'est elle la porteuse de cette nouvelle, en rapporte en
265
même temps une autre à Fogacer, plus troublante encore dès que le roi sera dans les murs de la reine-mère, le maggiordomo a reçu l'ordre de verrouiller toutes les portes du palais. La Zocoli ajoute encore qu'à tout hasard elle ira, après le passage du maggiordomo, rouvrir en catimini le verrou qui ferme la porte donnant sur la petite chapelle. Dès que Fogacer lui a remis ses péchés, la Zocoli, sautant les étapes, court prévenir, en mon absence, le comte de Guron, lequel, sans même prendre le temps de mignonner la caillette, dont il est pourtant fort entiché, vole prévenir le cardinal.
Lecteur, imagine l'effet que produisirent sur le cardinal les révélations déquiétantes de la rediseuse sur le huis clos o˘ le lendemain la reine-mère entend cloîtrer le roi pour le chapitrer. Ramentois, de gr‚ce, ce que j'ai dit au chapitre VI du présent tome sur le fait que tout est excessif chez Richelieu, aussi bien la sensibilité que le génie. Pour de bien petites causes, par exemple le coup de caveçon que lui infligea le roi à Nîmes, Richelieu se désespère, il p‚lit, il trémule, il verse d'abondantes larmes, mais elles durent peu. Et bientôt Richelieu se raffermit, reprend la capitainerie de son ‚me et, après m˚re réflexion, agit avec vigueur.
En l'espèce pourtant, bien difficile est la réflexion, et d'autant que raison et émotion se heurtent en Richelieu violemment: va-t-il et doit-il intervenir dans le bec à bec de la reine-mère et du roi ? Matériellement, il le peut certes, puisque la porte de la petite chapelle sera, par les soins de la Zocoli, déclose. Mais doit-il ainsi s'immiscer dans une conversation privée entre le roi et la reine ? Ne va-t-il pas attirer sur lui les foudres de Louis ?
D'un autre côté, profitant de ce huis clos d'autant plus menaçant qu'il paraît si secret, la reine ne va-t-elle pas déverser sur Richelieu et sur ses parents des calomnies atroces alors qu'il ne sera pas là pour se défendre ? Déjà, la veille, elle a licencié tous les parents que Richelieu avait introduits en les divers emplois de son palais, s'acharnant en particulier sur Madame de Combalet, à qui elle prête des projets extra-266
vagants, comme d'épouser le comte de Soissons, lequel, ayant empoisonné le roi et Gaston, deviendrait roi de France et la Combalet, reine de France.
Dieu sait qui a réussi à instiller cette stupidité dans la pauvre cervelle de la reine-mère, mais elle y croit meshui comme parole d'évangile.
N'était-ce pas déjà très humiliant pour Richelieu que le roi, à Lyon, ait promis aux deux reines son renvoi ? Dès leur retour en Paris, elles en ont caqueté la nouvelle autour d'elles à tout venant, tant est que ledit renvoi se trouve meshui connu et attendu par toute la Cour. Richelieu s'en aperçoit à toute heure, en tout lieu, les courtisans affichant àl'endroit du ministre qu'ils croient en sursis des "contenances extraordinaires ".
Cet "
extraordinaires ", qui est l'expression même de Richelieu, n'a pas besoin de glose. Richelieu en est accablé.
Ce renvoi, la reine-mère et le roi en disputent à l'heure qu'il est à huis clos, et pour Richelieu grande est la tentation d'intervenir. Mais grands aussi sont les risques. Louis est adamantinement à cheval sur l'étiquette, sans doute parce que la reine-mère en ses enfances l'a si impudemment violée à son endroit. quinze ans plus tard, il le lui reproche encore :
"Vous ne m'avez traité ni en fils ni en roi. " Il exige de son entourage un respect constant et pointilleux. Il ne supporte pas qu'en sa présence on parle trop fort, et moins encore qu'on se querelle, ou qu'on crie, ou qu'on emploie des mots f‚cheux et vulgaires.
On s'en ramentoit : Richelieu, bien que si circonspect, a laissé échapper à
Nîmes un "pourvu que" qui a paru àLouis trop autoritaire et portant quasiment atteinte à sa dignité royale. Il a laissé éclater sa colère urbi et orbi. Il lui a fallu un jour et une nuit pour se
Weitere Kostenlose Bücher