Complots et cabales
carrosse l'attend, ainsi que les mousquetaires de son escorte, et Richelieu. Toujours à pas pressés, Louis passe devant son ministre sans lui adresser la parole, ni lui faire l'aumône d'un regard, monte dans sa carrosse, fait un signe, le cocher fouette ses chevaux, les mousquetaires royaux se mettent en selle, et le cortège royal s'en va, faisant sur les pavés un bruit d'enfer, triste comme un glas aux oreilles de Richelieu.
Il n'est pas le seul à avoir vu ce départ. Les fenêtres du Luxembourg sont garnies de courtisans qui attendent àpeine que Richelieu ait regagné à pied son proche logis pour courir joyeusement conter à la reine-mère que le traître est àla parfin disgracié...
En réalité, ce n'est que le deuxième acte de la duperie, et Louis, sans prononcer un seul mot à quiconque, et sans jeter un seul regard à
Richelieu, fait croire à la Cour, et par conséquent à la reine-mère, qu'elle triomphe et que Richelieu est perdu. Et pourquoi agit-il ainsi ? La chose est claire. En ce qui concerne Richelieu, cet apparent abandon n'est simulé que pour le punir de sa f‚cheuse intrusion dans le bec à bec du roi et de la reine. Ce n'est rien d'autre qu'un de ces coups de caveçon un peu cruels que Louis inflige quand et quand à son plus fidèle serviteur pour lui ramentevoir qu'il est le roi, et qu'on doit respecter les égards qui lui sont dus.
La punition est dure, mais limitée dans le temps. Louis plonge son ministre dans les souffrances de l'Enfer, mais dans fort peu de temps il l'en retire et lui redonne sa faveur.
Pour la reine-mère, la punition sera en revanche implacable et sans fin.
Mais il ne déplaît pas au roi de la tantaliser et de lui donner, avant les humiliations de l'échec, les
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délices du triomphe. En réalité, il y a longtemps qu'il a résolu de se défaire, comme il dit dans son style mesuré, des "
importunités " de la reine-mère. La victoire apparente de la reine-mère aura encore un autre avantage. Elle va amener beaucoup de cabaleurs à se dévoiler, et il sera facile pour les rediseurs et les rediseuses de la police cardinalice de connaître leur identité, les propos qu'ils tiennent et les projets qu'ils forment. C'est toute la cabale, alors, qu'on pourra casser, et sans la moindre indulgence pour les plus compromis.
¿ Versailles, loin de la Cour et de Paris, Louis respire. Son fils, plus tard, aura le go˚t du faste. Il aime, lui, la simplicité. Versailles, à
l'époque, n'est qu'une petite gentilhommière qui ne comporte que deux ou trois pièces à peine meublées. Ce n'est pas une résidence royale. Jamais le Grand Conseil, ni les ministres, et moins encore la Cour n'y sont invités.
- Mon cher chanoine, vous qui y f˚tes, que se passa-t-il à Versailles entre Louis et Saint-Simon ?
- Rien de ce que Saint-Simon a susurré, dit Fogacer avec son long et sinueux sourire. Mais Saint-Simon ne l'a laissé entendre sotto voce et fort doucement qu'à quelques personnes dont je suis, me trouvant, comme vous savez, dans l'emploi du nonce Bagni.
- Et qu'a-t-il conté ?
- Un conte bleu, ou ce que mon …glise appelle un récit apocryphe.
- Mais encore ?
- Il a prétendu qu'une fois à Versailles, le roi lui aurait demandé si, à
son avis, il fallait ou ne fallait pas renvoyer Richelieu. Il aurait plaidé
alors longuement en faveur de Richelieu.
¿ quoi je ris à gueule bec.
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- Voyez-vous, dis-je, ce petit écuyer de merde qui vole après coup au secours de la victoire et se donne un rôle qu'il n'a jamais joué !
- Vous le décroyez donc ?
- Oui-da ! dis-je avec feu. Et en totalité !
- Moi aussi, dit Fogacer, et aussi le nonce Bagni. La raison en est que le roi, sauf à Luynes - et il devait amèrement s'en repentir -, n'a jamais voulu donner le moindre rôle politique à ses favoris. En second lieu, à mon sentiment, la décision du roi était déjà prise, même avant d'atteindre Versailles, de garder Richelieu et d'éloigner la reine-mère. De cela je suis bien assuré, et à mon sentiment la décision en fut prise, quand la reine-mère dit à Louis que s'il ne renvoyait pas le cardinal, elle n'assisterait plus au Grand Conseil du roi. Autrement dit, si elle n'était pas obéie, elle paralyserait l'appareil d'…tat. Il devint alors tout à fait clair que si Louis lui cédait, cela voudrait dire qu'elle aurait d'ores en avant le droit de chasser les ministres qui convenaient à son fils et de les remplacer par ceux qui avaient ses
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