Complots et cabales
pour moi qu'on fit tant de frais, j'en fus néanmoins assez titillé en mon for, encore que je me demandasse aussi, non sans quelque inquiétude, si j'allais de mes deniers nourrir et héberger tout ce monde en ce long voyage. Cependant, à peine eus-je pris congé du cardinal que Charpentier, dans l'antichambre, m'ôta ce souci en me remettant, avec un large sourire, un boursicot rondi àmerveille. Et comme je lui demandais s'il me faudrait tenir des comptes, il me répondit
- Nenni! Nenni ! Le cardinal ne veut point vous donner ce souci. S'il y a un reste à votre retour, il sera à qui vous voudrez.
Je trouvai ce < à qui vous voudrez " plein de tact, le bénéficiaire étant évident. Et je me félicitais à ce propos d'avoir eu affaire en cette mission à Richelieu plutôt qu'au roi, car le roi, qui détestait le luxe et la dépense, était pour lui-même et
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pour tous plus chiche-face que pas un fils de bonne mère en France, tandis que le cardinal, aimant le faste, l'aimait aussi pour ses serviteurs et les récompensait largement pour les travaux ou les missions qu'ils accomplissaient pour lui.
Il me fallut annoncer à Catherine que j'allais partir en mission, et cette annonce, comme il était prévisible, ne se fit pas sans pleurs, ni récriminations, Catherine me reprochant de n'aimer que le roi et Richelieu.
Et quant à elle, elle n'était, disait-elle, que la " cinquième roue de la carrosse " ; je la quittais pour un oui ou pour un non; elle ne comptait pas pour moi; somme toute, je ne l'avais épousée que pour la commodité de mes nuits; elle ou une autre, peu importait! De reste, j'aimais les femmes à toutes mains, et dès qu'une femelle pas trop laide pénétrait dans une pièce, j'étais béant, les yeux me sortaient de la tête, et on pouvait craindre que je me jetasse sur elle d'un moment à l'autre pour lui arracher sa vêture et coqueliquer avec elle coram populo 1.
Désirant mettre un terme à ces propos excessifs, je voulus prendre Catherine dans mes bras, mais dans l'état o˘ je la voyais, il me fallut, de prime, lui emprisonner les deux poignets de peur qu'elle ne me griff‚t.
quand elle fut ainsi désarmée, je lui piquai un millier de petits baisers sur la face et le cou et lui dis à l'oreille que je ne la quittais que pour trois ou quatre jours seulement, et que la mission n'était en aucune façon périlleuse, et quant à elle qu'elle était mon petit belon, mon petit coeur gauche, et mon petit ange doré.
Tout en la mignonnant ainsi, je me disais qu'il se pouvait que chacun de nos défauts f˚t apparié à une vertu, et que si Catherine était assurément la plus possessive des épouses, elle était aussi la plus aimante.
Comme elle commençait à s'apazimer, le grand huis de notre hôtel fut tout soudain déclos à grande noise et fracas, et ma Catherine, ayant séché ses pleurs, n'en crut pas ses beaux yeux quand, se cachant à demi derrière le rideau
1. Publiquement (lat.).
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d'une fenêtre, elle vit apparaître dans notre cour les vingt mousquetaires commandés par Monsieur de Clérac, et sortant de la carrosse royale, le comte de Sault - recruté en cette mission par Richelieu parce qu'il connaissait de longue date le marquis de Vardes.
Catherine commanda aussitôt à Madame de Bazimont de faire entrer dans la grand-salle le comte de Sault et Monsieur de Clérac (à qui j'ajoutai le capitaine Hôrner, bien qu'il ne f˚t pas du voyage) et de leur servir vin et friandises de gueule, ainsi que, dans la cour, aux mousquetaires. quant àmoi, me pria-t-elle, pouvais-je descendre saluer ces gentilshommes pour les amener dans la grand-salle, et leur annoncer qu'elle serait quelque temps avant de nous rejoindre ? Elle apparut, en effet, dans la grandsalle, et bien plus tôt que je n'aurais cru, ayant réussi à se testonner le cheveu, à se repimplocher, et à changer de vêture avec une admirable dextérité.
Bien qu'il n'en montr‚t rien, Hôrner fut flatté de boire le coup de l'étrier en compagnie du comte de Sault et d'un capitaine aux mousquetaires du roi, mais je vis bien qu'il se sentait en même temps quelque peu remochiné de ne pas être du voyage. Je lui glissai à l'oreille que c'était sur l'ordre du roi que j'étais cette fois escorté par les mousquetaires.
¿ ce mot "ordre " qui commandait toute la vie de Hôrner, soit qu'il le reç˚t, soit qu'il le donn‚t, il se rasséréna et devint même tout à fait heureux, quand je lui fis observer qu'en
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