Complots et cabales
vis -et hélas ! je sentis aussi - un rôt que nos mousquetaires étaient occupés à cuire. Et du diantre, lecteur, si à cet instant je n'eusse pas mieux aimé être mousquetaire que duc et pair...
Nous étions à peine assis autour d'une table ronde de bois brut quand entra un béjaune fort bien vêtu, grandet assez, les traits agréables, les cheveux longs et bouclés, mais l'oeil pas trop vif, ce qui me donna à penser que le fils de Monsieur de Vardes avait plus à se glorifier dans la chair que dans ses mérangeoises.
- Monsieur mon père, dit-il en s'inclinant, je vous présente mes respects.
Le marquis de Vardes lui fit signe de s'asseoir d'un geste déprisant de la main, mais sans déclore le bec. Régna alors un silence qui me parut pénible. Le marquis envisageait son fils avec des yeux de feu et les dents à tel point serrées qu'il n'arrivait pas à dire ce qu'il avait sur le coeur. Il y parvint, pourtant. Et quand il parla, ce fut d'une voix sourde et détimbrée qui avait peine à franchir son gosier.
- François, dit-il, je dois de prime vous nommer les gentilshommes qui me prêtent une main secourable dans cette affaire dont vous êtes le triste héros. ¿ ma droite, vous voyez le duc d'Orbieu, duc et pair, conseiller du roi. ¿ ma gauche, le comte de Sault, colonel d'un régiment de Sa Majesté.
¿ côté de lui, le capitaine de Clérac, capitaine aux mousquetaires. Ces trois gentilshommes sont connus par tout le royaume pour leur adamantine fidélité à Sa Majesté, et tous trois se feraient sans hésiter tuer pour le bien de son service.
" Messieurs, reprit-il, après un silence et en se tournant 340
vers nous, plaise à vous de me permettre de vous présenter mon fils aîné, François de Vardes, traître et félon à son roi...
François à ces mots blêmit, et parut se tasser sur sa chaire à bras, sans une larme, mais cillant des yeux. Pour moi, je n'aimais point trop ce début. Il me semblait que Monsieur de Vardes allait trop vite et trop loin.
Son jugement impitoyable, au lieu d'être l'aboutissement d'un procès, le précédait. Cependant, je n'eusse pas pris les choses en main si François n'avait pas dit à ce moment, d'une voix faible et comme résignée
- Messieurs, m'allez-vous emmener en Bastille ?
- Non, Monsieur, dis-je. Seul le roi de France a ce pouvoir. Nous ne l'avons pas. Nous ne sommes ni des juges, ni des geôliers, mais uniquement des amis du marquis de Vardes, et par conséquent le vôtre. Et tant pour lui que pour vous, nous cherchons à vous retirer du guêpier o˘ votre jeunesse vous a fourré. Je voudrais à cet égard vous poser quelques questions en vous priant de répondre à la franche marguerite, engageant votre foi de gentilhomme sur la véracité de vos réponses.
- Monseigneur, je m'y tiendrai, dit François, qui me parut renaître à la vie.
- Comment avez-vous eu l'idée d'offrir l'hospitalité de La Capelle à la reine-mère ?
- Mais je ne l'ai pas offerte. On me l'a demandée avec insistance en son nom.
- Et qui ?
- Le comte de Moret.
- Ah vraiment, le comte de Moret ! dit le marquis de Vardes avec le plus grand déprisement.
- Le comte de Moret, reprit François, est venu tout exprès de Compiègne à
La Capelle pour me prier, et même me supplier, d'accorder l'hospitalité de La Capelle à la reinemère.
- Et vous avez accepté ?
- Oui, Monseigneur.
- Vous n'avez donc pas pensé qu'en se sauvant de 341
Compiègne la reine-mère contrevenait à l'ordre . du roi, et qu'en l'acceptant à La Capelle vous deveniez son complice ?
- C'est que, Monseigneur, j'avais grandement pitié d'elle. Et la demande avait aussi beaucoup de poids, venant de la reine-mère, et à moi présentée par un prince du sang.
- Le comte de Moret n'est pas un prince du sang, dit Monsieur de Vardes.
C'est un b‚tard royal.
- Et comment se fait-il, repris-je, que vous ayez accédé àla demande du comte de Moret sans en référer de prime au marquis de Vardes, qui est non seulement votre père, mais le gouverneur de La Capelle ?
- C'est que je craignais qu'il n'accept‚t pas cette hospitalité.
- Pourquoi cela ?
- Monsieur mon père admire le cardinal et sa politique.
- Et vous ne partagez pas ce sentiment ?
- En aucune manière.
- Vous estimez donc que vous avez un meilleur jugement que votre père ?
- Sur ce sujet, oui.
- Cependant, le roi tient le cardinal Richelieu en très haute estime, puisqu'il le défend depuis des années contre les
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