Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
Vom Netzwerk:
les tenues « bleu horizon », moins repérables dans le cirque infernal du champ de bataille, aussi les machines à coudre piquaient-elles, avec ardeur et profit, le drap rugueux des culottes, des vareuses et des capotes, le trois-pièces linceul pour tant de troupiers dont le nom s’inscrirait sur le monument aux morts d’un village. Dans notre cour du 73, la carrosserie Marcou travaillait, elle aussi, avec fièvre pour l’armée, retapant des véhicules aux caisses disloquées par des éclats de bombes ou d’obus.
    La variété de ces voitures, dans lesquelles il nous était permis de jouer le temps, parfois une ou deux journées, qu’une place se trouvât vacante à l’intérieur de l’atelier, nous éberluait ; voiture treuil des aérostiers, voiture laboratoire-photo des unités d’observation avaient nos préférences. Les ambulances, que leur croix rouge ne protégeait pas des projectiles, et où subsistaient des traces sanglantes, faisaient naître en nous de sourdes appréhensions, une sorte de contact réaliste avec la boucherie humaine en cours. C’est dans cette carrosserie que mon père s’était momentanément reconverti, perçant à la machine des tôles que d’autres, rompus aux rudesses du travail manuel, auraient manipulées en se jouant, mais que mon paternel, ayant depuis toujours travaillé des pétales de soie ou de velours, trouvait inhumainement pesantes. Le pauvre n’avait même plus, pour le soutenir, le mirage d’un coup de trois sur des bourrins à grosse cote, les réunions hippiques étant suspendues jusqu’à la fin des hostilités. Cette mesure draconienne rendait à ma mère une demi-sérénité sur le plan des rentrées de monnaie, fort modestes il est vrai, mon père travaillant aux pièces, à un rythme nettement plus lent que celui des robustes professionnels de la perceuse.
    Ayant connu à Cras l’abondance, nous retrouver à La Chapelle dans un univers de pénurie n’inclinait pas à la gaieté. Sucre, chocolat, café, huile étant devenus denrées rares, pendant des périodes introuvables. Le charbon se voyait rationné depuis peu, nos meilleures mines se trouvant dans la zone occupée par le boche fécal. Cette dernière restriction eut pour effet de me voir chargé du sciage et du débit menu de deux lits rustiques, désaffectés comme trop hospitaliers aux punaises, et entreposés à la cave. Le menuisier qui avait fabriqué ces meubles de noyer n’avait pas lésiné sur le bois, qui se trouvait être d’une épaisseur et d’une dureté peu imaginables. Pour ma plus grande peine, n’ayant, pour venir à bout du bois massif, pour tout outillage, qu’une scie à la denture ébréchée et une hachette au fil émoussé. J’opérais à la lueur d’une lampe Pigeon, le lumignon le plus économique, et c’est miracle que je ne me sois pas entamé quelques doigts dans la pénombre de la cave. Le seul dommage dont je me souvienne est une série d’ampoules récoltées à la main droite, et que ma mère traitait alors d’un coup d’aiguille préalablement flambée, suivi d’un tamponnement à l’eau oxygénée. Le premier de ces lits me demanda trois mois pour être débité en bûchettes du format du foyer de notre cuisinière. Il vint à point en renfort du charbon gras délivré par les services de l’Intendance, à raison de dix kilos par semaine. L’hiver finissait, la température plus clémente inclinait à l’optimisme. Je remis le débit du second lit à d’autres temps, la conviction générale étant que la guerre ne pourrait se poursuivre au-delà d’une année, faute de matériel chez les Allemands voués à une rapide défaite.
    Le ravitaillement en charbon est aussi devenu de ma compétence. Je frète, pour cette corvée, une poussette, louée deux francs l’heure chez le bougnat voisin. La location de voiture à traction humaine étant devenue son casuel, le brave Auverpin en est réduit, faute de marchandises, et pour demeurer en activité, à fournir ses anciens clients uniquement en ligots. La location de la poussette est réglée par Mme Marguerite, dont je reste le commissionnaire attitré, et la livraison hebdomadaire à son cinquième étage de ses dix kilos de carbi m’est payée quarante sous. Bien que M. Louis, son julot, ne soit plus là pour encourager son zèle au labeur, la vaillante pute continue, comme par le passé, à opérer dès les aurores sa fidèle clientèle de mandataires des Halles. Démerdard comme

Weitere Kostenlose Bücher