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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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plein effort, fer en main, le caraco bâillant toujours sur une poitrine abondante mais ferme. J’étais de ces voyeurs, commençant à être préoccupé du mystère féminin. Les petites copines de la rue Riquet m’apparaissaient différentes. Ne se mêlant plus à nos jeux de garçons, elles jouaient à ne plus nous connaître, nous évitaient. Leur démarche s’était modifiée, et elles semblaient maintenant porter le saint sacrement entre leurs cuisses, surtout les plus mignonnes. Nous avions à l’école hérité, en troisième, d’une véritable déesse, Mlle Brigville, une brune à lourd chignon, aux jambes galbées, gainées de fil noir, à la voix musicale et douce, qu’un peu plus âgés nous aurions dit sensuelle. Cette paire de gambettes, cernée par l’échancrure du bureau, comme s’il se fût agi de l’exposer à nos convoitises, créait chez les mouflets une obsession, dont il n’était possible de se délivrer que par une bonne paluche, le regard fixé sur l’objet de notre culte. La troisième fut, cette année-là, la classe où le maximum de pognes furent dédiées à la belle maîtresse, certains, de fort tempérament, s’en administrant deux au cours de la journée. Distraction sans danger (d’être surpris), Mlle Brigville étant affligée d’une sérieuse myopie, qui donnait à son regard sa douceur veloutée suprêmement bouleversante.
    Nul, parmi mes copains, n’ignorait l’existence de l’amour vénal, saris, bien sûr, en avoir une claire représentation mentale. J’avais personnellement l’exemple de Mme Marguerite, mais devinais bien qu’elle ne pouvait, à elle seule, incarner tout le putanat. En cette matière d’observation de l’amour tarifié, nous étions, enfants de La Chapelle, particulièrement comblés : au sud du quartier, le bobinard proliférait : le Panier Fleuri , boulevard de La Villette, le 76, puis le 106, boulevard de La Chapelle. Trois claques de tradition dont il nous arrivait, la curiosité l’emportant sur la peur, de repousser la porte. Le temps d’entendre grelotter la sonnerie annonçant l’arrivant, et nous détalions, sans évidemment avoir entrevu la moindre créature, les portes donnant toutes sur un vestibule. Mais une mince consolation nous venait de la revue, rue de la Charbonnière, des putes guettant l’amateur devant les petites loges où se consommait la luxure. Roulures blanchies sous le harnais, violemment maquillées, la plupart en peignoir et chaussées de mules pour gagner du temps, ces créatures piquaient davantage notre désir de pénétrer un domaine interdit qu’elles ne nous troublaient. Unanimement, nous les jugions bléchardes, et peinions à comprendre la hâte du griveton permissionnaire s’engouffrant dans leurs gourbis, comme le débat du sidi marchandant le prix du stupre. Peut-être, la nuit tombée, ces vaillantes connaissaient-elles une frange de clientèle plus relevée ; nous en étions réduits à l’imaginer.
    *
    Démentant l’optimiste pronostic du Teuton acculé à une reddition rapide, faute de matériel, le conflit se durcissait. L’aviation, arme nouvelle, transportait la bataille jusque dans les airs. Aux Taube, relativement peu meurtriers, venaient de succéder les Gotha, bombardiers redoutables, que nos pilotes de chasse ne parvenaient pas toujours à intercepter. Révolue la quiétude du citadin à l’arrière, les reposantes nuits tranquilles n’étaient plus qu’un souvenir. En plein sommeil, le sinistre hululement des sirènes d’alerte venait nous jeter au bas du lit. Fringués à la hâte, c’était la dégringolade dans les abris, tandis que le tir de barrage antiaérien commençait sa pétarade, ponctué par la chute des éclats d’obus rebondissant sur les trottoirs, la chaussée et les toits, en grêle. Pour nous, par chance, les caves voûtées de notre vieille bâtisse ont été jugées conformes aux normes des abris. Nous aurions dû, sans cela, cavaler jusqu’au métro Torcy, au risque de morfler un éclat. Même les moins ingambes des locataires descendent à la cave, un lumignon d’une main, l’autre main étreignant la poignée d’un cabas recelant les papiers de la famille, la quincaillerie des bijoux miteux, et, pour les plus fortunés, quelques louis d’or, prudemment conservés, en dépit des appels permanents à venir, pour les besoins de la Défense nationale, les échanger contre des biffetons de la Banque de France assortis d’un diplôme de

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