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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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civisme, rigoureusement sans valeur marchande.
    Les premières alertes ont quelque peu l’allure d’une chienlit. L’éveil en sursaut ne favorise ni la beauté ni l’élégance. Visages bouffis de sommeil, chignons hâtivement rebâtis, yeux chassieux, regards affolés de trac, peignoirs craspec et charentaises avachies, ne mettent pas en valeur les ménagères, nos voisines, car l’élément féminin domine. Peu à peu cependant, chacun s’organise : les sièges pliants, dévolus en d’autres temps aux stations nocturnes les soirs brûlants d’été, se forment maintenant en cercle à la cave pour des controverses sans fin sur l’issue du conflit ou sur la probabilité de voir le quartier servir de cible aux Gotha qui doivent viser les voies ferrées du Nord et de l’Est enserrant La Chapelle. Comme pour accréditer cette funeste hypothèse, une bombe est déjà tombée rue du Département, à cinquante mètres des voies de la ligne de l’Est, et une seconde, place de Bitche, à trois cents mètres des mêmes lignes, mais à leur droite. Il est vrai, et chacun se plaît à le reconnaître, que les bombardiers à croix noire ne doivent disposer que d’un temps minime pour ajuster leur tir. Sur le pont Riquet même, surgit, dès le début de l’alerte, une batterie de 75 antiaérienne sur plate-forme automobile, dont les coups de départ se répercutent sourdement dans nos caves, sitôt un fumier de Gotha pris dans le faisceau lumineux des projecteurs sillonnant le ciel de façon féerique.
    J’ai personnellement participé à l’équipement d’alerte de notre abri, en récupérant la lanterne à acétylène du vélo de mon frère Louis, engin donnant une puissante flamme blanche qui éclipse celles, débiles et rougeâtres, des lampes Pigeon, des rats de cave et chandelles de suif. J’ai à cœur de tenir cette lanterne toujours garnie en carbure de calcium et alimentée en eau.
    Le cours des études est lui aussi durement perturbé, la sécurité des élèves, en cas de bombardement diurne, passant avant l’avancement des connaissances. Plusieurs jours par semaine sont consacrés aux exercices d’alerte. Il s’agit de regarnir son cartable, et de gagner vivement, mais en ordre, sous la conduite du maître, pour moi de la maîtresse, les abris qui nous ont été désignés : une fois encore des caves voisines de l’école. Intermèdes aux leçons, fort bienvenus selon nous pour justifier la faiblesse des notes sur les livrets. Les plus déterminés branleurs paraissent les plus comblés par ces mesures de prudence, comme si l’obscurité des caves décuplait leur passion pour la paluche, au point de la rendre irrépressible. Les plus vicelards, pour se mettre en verve, s’arrangent pour filer le train de près à Mile Brigville, de façon à se trouver à son contact lorsqu’elle amorce la descente de l’escalier de la cave. Là, feignant d’avoir trébuché, ils lui envoient la main aux miches, s’attardant sur les rondeurs plus qu’il n’est convenable pour rétablir un équilibre compromis. Innocence ? Indulgence ? Satisfaction d’un hommage à ses formes ? Nul n’a pu le démêler. La seule réaction de la belle à l’enfantine agression est de lancer de sa voix harmonieuse, sans même se retourner sur le coupable : « Ne poussez donc pas comme ça !… Nous sommes à bon port, rien ne presse ! » La bonne fille !
    Recru de fatigue, mon père avait dû renoncer au perçage des tôles. Un grossiste, droguiste-marchand de couleurs, avantagé par papa durant toute sa carrière, le tira momentanément d’affaire en l’engageant comme coloriste. Le travail consistait à obtenir, par des mélanges de teintes, celle exacte d’un échantillon, ce qui, pour mon Baron, ne souffrait nulle difficulté et le reposait de ses précédentes épreuves. J’appréciais fort cette nouvelle activité paternelle qui le tenait éloigné de la maison au moment précis où j’avais le plus besoin de liberté pour exercer une industrie naissante chez les galopins de quartier : la quête du charbon. Entre la gare de marchandises des lignes du Nord et celle du réseau de l’Est, cheminaient, par la rue Boucry, de lourdes voitures chargées de houille. Au sommet du chargement, sans doute pour atteindre le poids maximal à imposer au cheval pattu, étaient disposées les gaillettes, petits blocs luisants, objets de nos convoitises. Nous opérions à cinq, associés dans les bénéfices.

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