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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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Chacun de nous s’était procuré un sac de chez Bernot, pouvant contenir dix kilos de carbi. Nous les entreposions chez une pipelette de la rue des Roses, rendue complaisante par l’octroi d’un sac de notre butin tous les trois jours. La bonne femme gardait nos cartables durant que nous opérions. Une voiture se présentait, que nous guettions, planqués dans des coins de porte. À peine avait-elle dépassé notre poste d’affût, que l’un de nous, et chacun à tour de rôle, bondissait, escaladait l’arrière du chariot, et faisait choir sur le pavé, où elle se fragmentait, la gaillette la plus lourde ou la plus proche. Sauf rarissime exception, le roulier, alerté par le bruit, sautait à terre, et, le fouet à la main, poursuivait le coupable, cherchant à lui zébrer les mollets, y parvenant parfois. Durant ces représailles, le cheval avait continué à avancer, et il n’était jamais question pour le cocher furieux de ramener sa voiture et d’y reloger les éclats de la gaillette. C’était alors à nous de le faire, avec célérité, avant de reprendre notre affût jusqu’à la voiture suivante. Selon que la chance nous souriait ou non, il fallait répéter notre manœuvre de dix à quinze fois avant que le plein de nos petits sacs soit fait. Il ne s’agissait plus ensuite que de livrer à notre clientèle, laquelle s’étendait de semaine en semaine. Les commerçants, en plus grand nombre, nous réservaient le meilleur accueil, mais les coquins, ayant sans doute passé un accord, de comptoir à comptoir, se refusaient à payer plus de trois francs le sac de notre carbi. Déjà pesait sur nous la dure loi du fourgue, éternel exploiteur du pégriot. Deux membres au moins de notre équipe de juniors devaient ressentir les effets de cette dureté en affaires tout au long d’une carrière vouée à l’ouverture au forcing de portes qui n’étaient jamais celles de leur domicile. Trop jeunes sans doute pour que la cupidité intervienne pour fausser la répartition des recettes, la plus parfaite entente régnait entre nous. Chacun dépensait sa part selon ses goûts et ses penchants ; cornets de frites, glaces, places de ciné, illustrés, cigarettes anglaises. Pour moi, le gros problème était de dissimuler un argent dont je n’aurais pu justifier l’origine inavouable. Inavouable à mes parents, d’une rigueur que je m’expliquais mal, sur le point de l’honnêteté. « Pauvre, mais honnête ! » selon une formule alors en honneur, revenait souvent dans leurs conversations, tout comme si la gueuserie eût été une vertu, un état de grâce, qu’il eût été dommage de perdre en versant – comme si la chose était facile – dans le clan condamnable des malhonnêtes. Le déplorant, une idée bizarre m’est venue : faire profiter, dans une faible mesure, le budget familial du produit de mon industrie charbonnière. J’imagine un stratagème. D’une virée aux puces de Saint-Ouen, je rapporte un porte-monnaie hors d’usage, acheté vingt sous. Ma masse de monnaie, que je planque dans une poche de mon costume marin du dimanche, s’élève à quarante francs. J’en extrais quinze francs, deux de ces billets de cinq francs qui ont remplacé les thunes d’argent, et le complément en monnaie ; je glisse le tout dans le crapaud.
    C’est au retour de l’école que je réserve la surprise à ma mère. Lui tendant le morlingue, j’annonce fièrement :
    — Tiens maman, je l’ai trouvé dans le ruisseau… rue du Canada… Il y a quinze francs dedans !
    Ma mère me fixe, me sourit, puis sur le ton d’une leçon de choses, qu’elle emploie rarement, elle me dit :
    — Il faut le rapporter au commissariat !…
    Je demeure abasourdi, sans force pour répliquer, sans argument pour protester.
    Tout en m’expliquant le mécanisme des objets trouvés, qui reviennent à leur découvreur un an et un jour après leur dépôt si nul ne les a réclamés, ma mère a ajusté son fichu, et nous voilà en route pour le quart de la rue Philippe-de-Girard. J’en ai épais ! J’en demande pardon à sa mémoire, mais ma mère, je la trouvai, ce jour-là, ridicule.
    *
    Dans ce climat morose de la guerre, les distractions étaient rares à La Chapelle. Plus de bals évidemment, très peu de films, et dans la proximité immédiate, nul caf’ conc’. Pour les rares hommes restés dans leurs foyers, le billard et la manille demeuraient les seules ressources. Dans le plus pur esprit

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