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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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villageois, les bonnes femmes, elles, cancanaient fort, exerçant une perpétuelle surveillance sur les épouses des mobilisés et les veuves de guerre de fraîche date. Une nouvelle toilette, des horaires de rentrée irréguliers, des sorties nocturnes figuraient, dans l’esprit de ces observatrices sans charité, les prémices de l’inconduite, la voie ouverte à toutes les dissipations. Cette suspicion systématique me valut de jouer le chaperon auprès d’une voisine, férue de cinéma, mais que la crainte de racontars à son mari rendait prudente. Aussi, chaque jeudi, étais-je mobilisé par la charmante Mme Vatrin pour l’accompagner au cinéma Secrétan, ma jeunesse et mon petit gabarit physique n’autorisant pas les commérages. C’était le temps des films à épisodes, des mystères de New York, de Judex. Effet de ma fraîcheur d’âme, je me passionnais pour les péripéties imposées par les auteurs aux héros, venus tout droit du bon vieux mélo populaire. Mme Vatrin, bien que mon aînée d’une bonne douzaine d’années, vibrait à l’unisson aux passages poignants du film. Circonstance favorable au rapprochement de ma cuisse contre la sienne, assortie d’un grand trouble, dont aujourd’hui encore je me demande si elle en eut jamais le moindre soupçon. C’était surtout durant le retour dans les rues désertes, à l’issue de la séance de cinoche, que m’assaillaient les rêveries les plus folles. Encore tout émoustillé par la plastique de Musidora, généreusement dévoilée dans chaque épisode de Judex, je m’offrais au retour un transfert sur la ravissante Mme Vatrin, laquelle, me prenant le bras tout au long de notre cheminement, me gratifiait de la douce chaleur de son corps. Puceau, et aspirant fort à ne plus l’être, j’étais bien incapable de révéler à cette émouvante créature mon appétit d’initiation, de lui confesser qu’elle seule me semblait, dans mes rêveries, devoir, par une sorte de prédestination, me ravir mon innocence, euphémisme par lequel se désignait alors le déniaisement d’un être jeune par un adulte, dépucelage eût semblé trivial, les passions à cette époque intéressant plus le cœur que le dessous de la ceinture.
    À force de sublimer ce premier amour, il m’était venu par période l’obscure sensation que le temps était proche de sa consommation, et, accompagnant l’intense euphorie que je me promettais de délices inconnus, naissait la crainte anticipée d’un cortège d’emmerdements, pas piqués des vers ! Je craignais, de façon absolument gratuite, les indiscrétions des commères, et davantage encore ce qui aurait pu revenir aux oreilles du mari, que je commençais à tenir pour mon rival ! Les mouflets quand leurs sentiments s’exacerbent ont de ces naïvetés ! L’époux de la dame de mes pensées avait le gabarit d’un ogre des contes de nourrice, et m’eût certes écrasé d’une pichenette. Mais nous n’étions pas dans un conte où le héros fluet triomphe de la brute. J’en avais clairement conscience. Tueur aux abattoirs de La Villette, M. Vatrin s’était, le plus légitimement du monde, vu verser dans une unité de nettoyeurs de tranchées. Là, son habileté à dépêcher au surin l’ennemi rétif lui avait déjà mérité la croix de guerre et deux citations. Il me venait des cauchemars à la perspective d’affronter la colère de ce vaillant. Ce qui, loin de la charmeuse, tempérait une ardeur qu’un nouveau contact faisait vite renaître.
    Tant était grande ma prudence, si profonde ma dissimulation, que nul dans notre entourage n’avait deviné ma dévotion à la belle voisine, hormis Mme Marguerite, experte par profession à déceler chez l’homme l’émoi précurseur du désir et qui me taquinait fort sur mon assiduité auprès de dame Vatrin, me détaillant sur le mode badin les charmes visibles de notre voisine, avant de passer aux charmes que la pudeur nous dérobait. Pensant me faire couper, elle terminait sa litanie par des questions ambiguës telles que : « Elle a des beaux nichons, personne peut aller contre… Je me demande si elle a un aussi joli cul… Qu’est-ce que t’en penses ?… – J’avoue que je n’y ai jamais pensé ! » répliquai-je hypocrite. Mme Marguerite partait d’un grand rire, et me prédisait : « Toi, tu seras un petit poisse-dudule… tu mens déjà comme un vrai homme ! » Poisse-dudule étant alors un des noms génériques donnés

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