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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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par le populaire aux pairs de M. Louis, mats, chevesnes ou harengs, je me gardais soigneusement d’avertir mes parents qu’une connaisseuse, au moins, avait foi dans mon avenir.
    À force de divagations de mon esprit, j’exigeais, de celle pour qui je n’étais qu’un petit voisin complaisant, une fidélité à la mesure du sentiment que je lui vouais. De cette vésanie devait venir ma guérison. Si grande était la flamme qui me consumait, que j’en étais venu, dans le dessein de voir chaque jour ma belle, au désintéressement total. Comprenez par là que je m’étais institué son commissionnaire bénévole, refusant dignement toute pièce qu’elle insistait pour me faire accepter. La mignonne devait croire que j’entendais ainsi acquitter, en services, mes places du cinéma hebdomadaire. J’avais, dans ma hâte de revoir cette créature, dû renoncer à accompagner mes copains-associés au charbon. Dès le seuil de la communale franchi, je poussais un sprint en direction de notre cabane, en gravissais les escaliers au pas de charge. Débarrassé de ma gibecière, les mains lavées, j’osais enfin frapper à la lourde de dame Vatrin.
    — Qui est là ? me demandait la voix espérée.
    — Le petit Bébert !
    C’est en effet le sobriquet dont, à la grande consternation de ma mère, les voisins m’avaient affublé, suivant en cela la tradition constante du faubourg, muant les Jules en Julot, les Paul en Paulo, les Alfred en Frédo, les Henri en Riton, les Louis en Loulou.
    Je n’eus pas, ce jour funeste, à me nommer. Ma mère, plus attentive qu’il n’y paraissait à mon comportement, m’avertit alors que, les paluches nettes de toute tache d’encre, j’allais passer la porte :
    — Mme Vatrin n’est pas là… Son mari est au repos près de Château-Thierry… Il lui a fait savoir par un permissionnaire. Fallait voir sa joie ! Elle était folle !… Elle est partie le rejoindre… avec juste un baluchon de linge propre… Pourvu qu’elle puisse passer !… Je suis bien heureuse pour elle ! Profites-en pour faire tes devoirs !
    La vie nous ménage tant de tristesses qu’il serait vain de tenter d’établir, en unités d’affliction, un classement de nos chagrins. Celui qui me venait de la trahison de dame Vatrin blessait à la fois ma vanité et le côté tendre de mon caractère. Qu’il eût suffi d’un simple appel de ce rustaud d’époux – c’est ainsi que je voyais désormais ce mari – pour qu’elle se ruât à sa rencontre, m’apparaissait d’une animalité presque obscène. Qu’elle n’eût pas deviné la peine qu’allait me causer son élan vers un personnage à mon sens indigne d’elle, me semblait être le comble de l’indélicatesse, assorti d’un brin de cruauté. Je me trouvais à la fois ridicule et pitoyable, sans même la ressource de confier ma peine à quiconque. Je ne saurais dire combien de temps me fut nécessaire pour atténuer mon chagrin, puis me guérir des tentations qui m’assaillaient parfois de pardonner à la charmante ce qui m’apparaissait par moments comme une fugue. Le certain, je puis l’assurer, est que lors de sa réapparition, jamais plus je ne retournai avec elle au cinéma, ni ne l’obligeai en commissionnaire diligent.
    *
    La suppression des courses hippiques, je l’ai dit, avait providentiellement tari l’hémorragie de monnaie qu’elles causaient dans notre budget familial, et ma mère pouvait, à son grand soulagement, enfin équilibrer le maigre budget de son foyer, donc, dans une mince mesure, se faire aider. Ainsi, le bricheton nous était maintenant livré, sous le coup des huit heures, par la mère Jane, l’antique porteuse de pain, tandis que Mme Valois, la blanchecaille à façon, épargnait à ma mère l’exténuante corvée du lavoir. Corvée qu’au vrai, ma mère n’aurait plus été à même d’assumer, un mauvais rhume ayant évolué chez elle en emphysème, puis en asthme, la pauvre peinait maintenant à gravir en deux étapes nos quatre étages, et je devais l’accompagner au marché, porteur du filet à provisions. Le docteur Ascher, typique toubib de quartier, avait commencé à prescrire ventouses et inhalations, puis ces remèdes s’avérant inopérants, était passé aux sirops schlinguant la créosote, conjugués aux cigarettes d’eucalyptus, tout aussi nauséabondes, traitements dont l’effet le plus clair était de couper l’appétit à ma mère, dont le visage s’émaciait.

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