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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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soient tues n’allait nullement sonner le retour aux années quiètes de l’avant-guerre, durant lesquelles la gueuserie pour être coutumière en était devenue supportable.
    Le retour au foyer du combattant survivant du carnage posait déjà un méchant problème que les états-majors résolvaient en démobilisant avec une prudente lenteur. À la maison nous eûmes des nouvelles de mon frangin André, le mataf, assez rapidement, mais dûmes patienter plusieurs mois avant de le voir surgir, encore en uniforme, mais nanti d’une ultime perme, sésame de la liberté. Il apparut un soir, chargé de son gros sac de toile, muni d’une mandoline, d’un kodak en bandoulière, tenant en laisse Samos, un chien grec, cadeau d’une fille séduite, animal dont il avait eu toutes les peines du monde à faire admettre la présence à bord du torpilleur qui le ramenait d’Orient. Notre joie eût été complète si ce retour du navigateur – le premier de la famille – ne s’était produit en pleine période d’austérité financière – dite par ma mère « de purée noire ». Nous n’en dînâmes pas moins somptueusement, le charcutier voisin ayant mitonné à crédit une douzaine de côtelettes sauce piquante, mets le plus propre à faire oublier à un mataf, futur civil, les tambouilles monotones des maîtres coq d’escadre.
    L’embarras le plus immédiat, mais fort réel, causé par l’accroissement d’une unité du clan familial, déjà à l’étroit dans deux pièces, fut un problème d’encombrement. Une adroite imbrication des lits-cages, et la disposition d’un matelas à même le sol carrelé, permit de venir à bout de cette difficulté que nombre de foyers connaissaient. En quatre années, garçonnets et fillettes, quittés mignards, avaient gagné en stature et en poids durant que leur Baron s’illustrait sous les armes, et n’étant pas loin de faire figure d’adolescents réclamaient davantage d’espace vital. Nombreux aussi se trouvaient être quelques bambins en surnombre, fruits supposés d’une permission, bien dite de détente.
    Passant sur l’inconfort d’une promiscuité très réelle, mon frère André nous apparaissait en tout point admirable. Grattant sa mandoline, qu’il appelait son jambonneau, selon une technique toute instinctive, il n’en ravissait pas moins notre père, en restituant quelques rengaines italiennes. O sole mio et une tarentelle, ses morceaux de bravoure, étaient enlevés prestement à la pointe du plectre, le vibrato soutenu de l’instrument masquant parfois l’hésitation sur la note. Mon père n’en demandait pas davantage : compter un musicien parmi ses fils comblait un vœu par lui longtemps caressé. Maman, qui n’avait jamais vu et ne devait jamais voir la mer, admirait de confiance en André le hardi navigateur, en butte aux périls de l’Océan, tel Giliatt le marin luttant contre la pieuvre, ainsi que le décrit Victor Hugo dans Les Travailleurs de la mer . André avait beau révéler qu’il avait davantage craint les mines flottantes et les torpilles de l’ennemi que les monstres marins, notre mère n’en croyait rien et gardait sa vision romantique des périls. La chère femme s’était aussi prise d’une dévorante curiosité pour la première maîtresse de Samos, le cador grec. Était-elle jolie ?… fortunée ?… que faisaient ses parents ?…
    À ces questions mon frangin opposait un solide mutisme, crainte sans doute de laisser maman imaginer cette intrigante étrangère en belle-fille possible. C’est à moi qu’était échue la corvée de descendre matin et soir le chien Samos libérer vessie et entrailles dans le ruisseau. Ma vanité de pouvoir exhiber l’unique clebs grec du quartier fut de courte durée. L’animal un jour disparut, ayant profité j’imagine d’une porte mal fermée pour se faire la paire. Il ne fut pas retrouvé, même à la fourrière. Parti ce témoin d’amours mortes, ma mère perdit toutes les illusions qu’elle avait nourries sur une flatteuse union franco-grecque.
    *
    Passé le bonheur des retrouvailles, de rudes réalités s’imposaient aux démobilisés. Primordialement, la quête d’un boulot pour qui voulait s’assurer les trois repas quotidiens, fournis par l’Intendance durant quatre années, souvent sans régularité et dans des qualités parfois contestables, mais à l’œil. Les primes de démobilisation étaient maigres, et la reconstitution d’une garde-robe, même

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