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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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élémentaire, ruineuse. Le gouvernement, dans sa sollicitude, avait bien prévu pour l’ex-griveton l’octroi gratis d’un vêtement civil, dit costume « Abrahmi ». Il s’agissait d’un deux-pièces, taillé dans un tissu rêche, de teinte neutre et d’une coupe austère. En quelque sorte d’un uniforme de civil. Las d’être sapés de la même manière, rares furent les bénéficiaires de cette largesse à porter le triste costard. Mon frangin André ne l’endossa jamais. Il lui était venu, eu égard aux disciplines d’hygiène de mise dans le quartier, des manières tatillonnes qui faisaient presque figure de raffinement. Dès sa réintégration dans notre canfouine familiale, il s’était aménagé au-dessus de l’évier où avaient lieu les toilettes et les vaisselles, une tablette de bois à usage de support pour son matériel de dandy : rasoir, blaireau, savon à barbe, brosse à dents, eau de Cologne, Eau de Botot, savon dentifrice Gibbs dans sa boîte ronde de métal. Toutes choses nouvelles ; mon père s’obstinant au port d’une barbe carrée, roussie par endroits par les mégots, et nul parmi nous ne se brossait les ratiches, à l’instar de l’ensemble des Chapellois, tôt brèche-dents pour la plupart. L’unique dentiste du quartier tirait alors son casuel des extractions, avec ou sans douleur, selon les moyens du patient, et œuvrait davantage du davier que de la fraise. Les haleines chargées de relents de carie n’étaient alors pas rares. Voulant sans doute m’éviter pour le futur cette infortune, André m’offrit ma première brosse à dents ; j’approchais ma quatorzième année.
    *
    Le reflux des grivetons, mués en civils, avec l’obligation de se remettre au labeur, amenait, dans ce qui serait plus tard nommé « marché du travail », un rude chanstique. Les canons s’étant tus, les nanas tourneuses d’obus se virent, aussi sec, mises à pied. Assez trivialement, elles furent priées de réintégrer leurs foyers pour y repriser les chaussettes de leur époux et progéniture. Semblablement l’Intendance avait réduit ses commandes d’uniformes. Les usines fabriquant chars de combat, automitrailleuses et avions marquaient une pause pour une reconversion qui allait réclamer un assez long temps. Pour l’embauche en ces lieux, c’était macache et midi sonné. À La Chapelle, le drapeau noir flottait sur la marmite dans presque tous les ménages. Pour les compagnons du bâtiment s’offrait bien l’exil dans les « régions dévastées », un quart du territoire français, semé de ruines par le flux et le reflux des combats, étant à reconstruire. Mais l’octroi, à un extrême ralenti, des dommages de guerre ne permettait pas à la plupart des sinistrés l’ouverture immédiate des chantiers.
    Louis, revenu indemne de la riflette, mais conducteur confirmé d’automobile, venait avec le flair coutumier des macs d’entreprendre une fructueuse exploitation de ces « régions dévastées ». Investissant le pécule que la courageuse Mme Marguerite avait constitué en son absence dans l’achat d’un camion Dodge des stocks laissés sur place par les Américains, il garnissait à Paris l’engin de poêles, d’outils, de clous, de casseroles, de marmites, voire de vaisselle, toutes choses de première nécessité pour le rapetassage et la survie dans les cabanes les moins croulantes des villes bombardées. Déjà, dans ce qui avait été la zone des combats, toute une clientèle guettait l’arrivée de M. Louis au volant de sa quincaillerie itinérante. Le julot paraissait parti pour une brillante réussite aux yeux de tout le quartier. Néanmoins, dame Marguerite, travailleuse de la première heure, n’en persistait pas moins à animer de sa chère présence les hôtels de passes du quartier des Halles.
    Mon frangin André ne fut pas longtemps sur le sable. Durant les hostilités, peu d’apprentis électriciens avaient été formés. Dans les beaux quartiers parisiens déjà électrifiés, nombre d’installations devenues défectueuses n’avaient pu être entretenues faute de main-d’œuvre qualifiée ; c’est dire que le compagnon adroit – André était de ceux-là – susceptible d’être envoyé chez le bourgeois sans risque de malfaçon ni de scandale, se trouvait recherché. Ce fut à moi que le retour du combattant devait être fatal. Georges, l’unique engagé volontaire de la maison Demange, surgit un matin, portant un

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