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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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caressée d’avoir un jour, par mon canal, des renseignements de première bourre sur la forme des gails, s’évanouit peu à peu. Ma mère, dont c’était fort peu le genre, me sermonna un matin.
    — Nous t’avons donné le jour et élevé, du mieux possible…, me dit-elle doucement, tu dois trouver un métier où gagner ta vie… Nous ne serons pas toujours là !… Un jour tu seras à tes croûtes !…
    Devant une telle perspective, je ne pus refouler quelques larmes. Le soupçon me gagna qu’en me mettant au monde, mes parents m’avaient fait un drôle de cadeau.
    Le salut concernant mon Avenir , ainsi que s’exprimait mon père, me vint de l’époux de la sœur de la veuve de notre pauvre Louis. Rentrant indemne de la riflette, ce brave M. Le Bret, dont on ne parlait qu’avec une considération contenue, venait de reprendre son boulot dans une maison d’exportation américaine, et admettait de me patronner auprès de la direction.
    *
    Mon engagement au sein des quelque cent mille employés de la firme « Sir John Craig Eaton-Toronto, Ontario-Winnipeg, Manitoba », débuta par une imposture. La promesse faite par M. Le Bret, au directeur du bureau d’achat parisien, de m’enseigner les rudiments de la langue anglaise. Anticipant à peine sur l’avenir, ce Canadien pète-sec, méprisant pour la francophonie, entendait que le personnel d’Eaton, dans son ensemble, s’exprimât dans la langue déjà la plus répandue sur le globe. Ayant souscrit étourdiment à cette exigence, et promis d’être attentif aux leçons de M. Le Bret, je fus engagé, davantage en raison de la perte au combat de mon frère Louis que sur mes capacités futures, ce qui sur le moment m’apparut comme une monstruosité, une exploitation indécente de notre chagrin. De cette sensation devait découler, j’imagine, mon impuissance à assimiler la moindre broque d’anglais, carence tenace jusqu’à ce jour.
    Je ne garde en mémoire que les quatre saisons spring – summer autumn – winter, une de mes fonctions consistant à distribuer aux secrétaires les formules des ordres d’achat correspondant aux périodes de vente dans les lointains rayons de magasins, auprès desquels, si les photographies décorant les murs n’étaient pas mensongères, le Bon Marché, les Galeries Lafayette, le Printemps et le Louvre faisaient figure d’échoppes. Ce dont le personnel ressentait une vanité certaine, prémices à la séduction du gigantisme amerloque. Les fournisseurs en toutes choses devaient eux aussi se montrer sensibles à l’attraction des masses, à en juger par le mascaret d’échantillons déferlant de province à chaque courrier. Cela allait de la coutellerie de Thiers à la soierie de Lyon, de la noix cerneau aux sardines du Yacht Club, du sac du soir perlé au foie gras de Strasbourg. J’avais pour tâche de renvoyer à leurs expéditeurs les échantillons non retenus par les acheteurs maison, personnages itinérants qui nous venaient des quatre points cardinaux et ne séjournaient que rarement plus d’une semaine à Paris, si ce n’est, soutenait Eugène l’emballeur, pour y faire une foire à tout casser. Ces débordements, Eugène prétendait en relever la trace aux mines fripées que certains acheteurs arboraient lors de leur arrivée, vers les onze heures du mat’, alors que des représentants poireautaient depuis neuf heures avec leurs collections, dans la vaste salle d’attente. Une réelle complicité m’unissait à Eugène, étant les seuls à refuser le thé rituellement servi à cinq heures, boisson que les secrétaires et dactylos paraissaient tenir pour une étape vers le raffinement. Quant à noszigues, Eugène et moi, notre « five o’clock » était à base de pain, saucisson et vin blanc. Ce qui me valut dans l’esprit du directeur, nous ayant surpris au casse-graine, un préjugé nettement défavorable, vite transformé en ostracisme à l’occasion d’une admonestation en anglais à laquelle je n’entravai que dalle. De ce jour, ce furieux ne m’adressa plus la parole, estimant sans doute déloyal de n’avoir pas appris sa langue, tel que je m’y étais engagé. J’avais sur ce point quelques excuses, à ne pas évidemment faire valoir. Le charmant M. Le Bret, je m’en étais rendu compte, se faisant difficilement entendre des acheteurs, eût sans nul doute gagné à prendre lui-même quelques-unes des leçons qu’il s’était proposé de me donner. Son

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