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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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uniforme pisseux mais sur le dolman duquel brinquebalait une croix de guerre agrémentée de plusieurs palmes. À l’accueil qui lui fut fait, je devinai que ma carrière de calicot allait se terminer sous peu. Un vin d’honneur promptement organisé par la Moule fut l’occasion pour M. Roger d’assurer, dans un bref laïus, Georges le vaillant de son estime et de bien préciser que l’emploi qu’il avait occupé avant d’aller s’illustrer sous les armes demeurait pour lui vacant. J’avais compris. Je n’en trinquais pas moins, un brin jaloux, je dois l’avouer, du frotti-frotta des filles agglutinées autour du viril militaire, conduite que je jugeais d’ailleurs détestable. Réaction masculine constante depuis la puberté devant les offensives des escaladeuses de braguettes, dès que leur convoitise se porte ailleurs que sur la nôtre. De ce réflexe vient sans doute la coutume paradoxale de traiter de salope toute fille réputée bonne baiseuse, pour peu qu’elle oppose à nos offres de service un froid dédain.
    Il ne fallut que deux mois, à dater de la reprise effective du boulot par Georges – le « beau Georges » disaient les filles – pour m’écœurer. La Moule, qui avait fréquemment quelques mois plus tôt vanté ma faculté d’assimilation, se mit très vite à me taxer de crétinisme. L’emploi du compte-fils me fut retiré, puis le métrage des commandes, et enfin le maniement des balles de tissu. Je n’avais plus d’utilité que pour les petites livraisons expresses, lesquelles se faisaient à pinces, quel que fût le temps. J’avais brusquement la sensation d’avoir régressé en âge, à telle enseigne que mes collègues filles ne m’admettaient plus aux chahuts-pelotages où Georges tenait sa partie, offrant à ces énervées des perspectives de conclusion absolument hors de mes faibles moyens.
    J’hésitais à affranchir mes parents de cette sourde défaveur. M. Roger vint opportunément m’en éviter l’aveu. Convoqué dans son bureau, j’eus droit à une jésuitique admonestation, à caractère paternel. Il lui était revenu, sur mon assiduité au labeur, les plus fâcheux échos. Retards matinaux fréquents ! mollesse dans l’exécution du travail ! lenteur croissante dans mes missions de livraisons ! mauvaises manières avec nos collègues féminines !
    J’en restai coi. M. Roger en profita pour enchaîner. À ces signes il devait comprendre que je me fourvoierais en persistant dans une voie qui n’était certes pas celle de ma vocation. J’étais jeune encore ! très capable de me reconvertir dans une activité plus conforme à mes aptitudes ! Aussi, pour mon bien, dans mon intérêt, m’incitait-il à me chercher ailleurs un emploi ! Toutefois, tenant compte du zèle que j’avais montré lors de mon entrée dans sa maison, un préavis d’un mois m’était-il accordé pour dégauchir l’« activité plus conforme à mes aptitudes ! » D’aptitudes, je ne m’en sentais pas lerche, si ce n’est celle à me faire incendier par mes auteurs à l’énoncé de la mauvaise nouvelle.
    *
    Sur ce dernier propos, je m’étais mépris ; sans colère, mes parents ne ressentirent en apprenant que j’étais viré qu’une silencieuse affliction. Ainsi, tous les saumâtres pronostics se confirmaient : j’étais bien le tocard incasable, le générateur endurci d’emmerdements. Qu’allait-on pouvoir faire de moi ? J’évitais d’y penser, n’ayant d’attrait pour rien, et puis trop d’autres y pensaient pour moi. Une singulière émulation s’était emparée de toute notre parenté, de nos relations et voisins, à qui suggérerait une activité possible, un embauchage miraculeux, la bonne gâche pour galopin rétif. Je devenais, en tant qu’inclassable, dans un cercle de bonnes âmes, une sorte de vedette.
    Mon frangin André tenait pour l’apprentissage d’électricien, métier où il se faisait fort de m’introduire ; ma mère m’eût voulu pâtissier ; tante Camille conseillait la restauration, ne serait-ce qu’à la plonge pour débuter, et mettait l’accent sur l’avantage d’être nourri. Mon père, les courses ayant repris, cherchait en vain dans le monde hippique une relation susceptible de m’adresser à un entraîneur pour l’apprentissage de lad ! Ne fréquentant que les traîne-lattes de la pelouse, ses chances de rencontrer ce providentiel intercesseur demeuraient nulles, et l’espérance qu’il avait

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