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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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palais d’une délectable âcreté, quand La Moule, hors d’haleine, claquant les portes de façon surprenante, se mit à passer de pièce en pièce, allant, revenant, pivotant, et répétant sur un timbre aigu que nul jusqu’alors ne lui avait connu :
    — L’armistice est signé !… l’armistice est signé !… La guerre est finie !… Vive la France !…
    Sur l’instant, la conduite insolite de notre comptable, à l’ordinaire modèle de pondération, nous médusa. Il y eut un assez long silence, nullement dédié à la mémoire des combattants défunts, comme il devait par la suite devenir de coutume d’en observer. Simplement, l’annonce de l’événement paraissait si incongrue qu’il nous semblait possible que La Moule fût tombé fou. Déjà les cloches de l’église Notre-Dame-de-Nazareth, toute proche, s’étaient mises en branle, auxquelles celles d’autres paroisses répondaient. Au loin, des salves de canon, assourdies, roulaient, désormais pacifiques. De la rue même montaient les chants d’un flot de ménesses, ouvrières des environs et dames à chapeaux mêlées, se dirigeant vers le boulevard. En moins de rien, les Établissements Demange frères se trouvèrent veufs de personnel et nous fûmes en moins de rien agglomérés à une sorte de magma humain, occupant, de la République à la Concorde, les grands boulevards, trottoirs et chaussées, d’une façade d’immeuble à celle qui lui faisait face. Ce n’était, dans cette foule à la densité jamais de mes jours retrouvée, qu’embrassades, pelotages, mains tombées aux fesses, explorations de corsages, bouche à bouche, nullement destiné à la réanimation (procédé encore inconnu) : une liesse populaire intéressant primordialement le dessous de la ceinture.
    Nullement question dans cette compacte masse humaine enfiévrée de se diriger vers un point précis. Sitôt intégré – je devrais dire digéré – par cette foule en rut, la rage de cul communicative à l’extrême vous saisissait. Pour moi, puceau, ce déferlement de salacité, quel qu’en fût le prétexte patriotique, faisait figure d’exemple. Les gestes que j’avais souvent souhaité oser prenaient une simplicité, vite banale. La pogne leste, je m’essayais à l’imitation des grands, sans à mon intense surprise essuyer de rebuffades, et suscitant plutôt des rires encourageants, un brin ironique aussi devant ce qui devait faire figure de précocité. Court de taille, mes hommages pétrissant devaient se limiter aux fesses, leçon d’anatomie sur le sujet pour laquelle je montrai sur-le-champ une très sérieuse application. Leurs variétés de formes et de nature, de la charnue, fondante sous la paume, à la nerveuse musclée, m’enchantaient. Je devinais là, en ces rondeurs, une matière à explorer d’une richesse inépuisable. Ma légèreté m’interdisait de choisir une orientation et me condamnait à suivre le lent écoulement de la foule, ses flux et ses reflux imprévisibles, ses caprices tourbillonnant autour d’une camionnette au plateau surchargé de grivetons angliches et franchouillards mêlés, que des filles haut troussées montaient rejoindre. Bagnoles militaires bloquées sur place et sans espoir d’avant longtemps démarrer, en dépit des rauques clameurs de leurs klaxons mécaniques. Laminé, compressé, transporté sans toucher terre, j’avais d’abord mis cap vers la République. Je me retrouvais soudain voguant vers l’Opéra agglutiné à une troupe de vociférants, acharnés au massacre du Chant du départ puis de La Brabançonne , hymne de la Belgique martyre, fort de mode alors. Du flot s’écoulant en sens contraire montait Tipperary , puis La Marseillaise . Par un mouvement centrifuge, je me trouvai projeté contre le Café de la Paix . J’y pénétrai la gorge sèche, avec le propos d’y trouver un coin tranquille où me reposer un moment, d’y mendier aussi un verre de flotte. Mes gambilles se dérobaient sous moi, et j’éprouvais pour la première fois une des gênes de la condition masculine. D’une vaine bandaison prolongée plusieurs heures durant, mes burnes s’enflammant étaient devenues douloureuses, de façon indicible : j’avais la sensation qu’elles s’étiraient vers la terre. À qui l’avouer ? Pour la fatigue et pour la soif le hasard me fut favorable, mais nib pour les couilles ! J’atterris, dans ce café où la foule était aussi dense qu’au-dehors, sur un coin de

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