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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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s’intégrer au répertoire sifflé des peintres en bâtiment, c’est tout dire !
    Notre quartier se trouvait particulièrement gâté sur le plan du spectacle. Trois cinémas jalonnaient la rue de La Chapelle. Le Palace Torcy, le plus central, avait succédé aux projections de la Brasserie Karcher, elle-même convertie en bureau de poste. On y pouvait à l’avance louer ses places, commodité dont nombre de familles usaient, presque comme d’un abonnement, avec l’agrément de se situer de façon idéale par rapport à l’écran, selon l’acuité de la vision. Le programme changeant chaque semaine assurait à cette salle une clientèle d’une absolue fidélité. Dans un genre déjà plus relevé, les Bouffes du Nord donnaient, selon une alternance dont je ne déterminai jamais les règles, tantôt le répertoire d’opérettes éprouvées, tantôt des programmes de music-hall. Cette dernière période était pour nous, les mignards, l’occasion de nous enflammer pour les vedettes de ces spectacles, dont nous attendions l’apparition à la sortie des artistes, n’ayant, bien évidemment, pas de quoi acquitter le moindre strapontin dans la salle.
    Les plus populaires auprès de nous se trouvaient être Jim Gérald, une rondeur qui se déplaçait dans une voiture à hélice, dont je n’ai vu nulle part la réplique, et Lyjo le Collégien, vieille tante flétrie dans son uniforme de garçonnet, et dont il était bien recommandé par les familles de ne pas répondre aux avances. Le gros Mansuelle, virtuose de la trompette de Jéricho, et que ses affiches grand format montraient embouchant simultanément deux de ces instruments, avait, quoique moins nombreux parmi les galopins, de solides admirateurs, de confiance, aucun ne l’ayant entendu tirer le moindre son de ses tuyaux démesurés.
    Toutes les clientèles devant être servies, la direction des Bouffes incluait parfois, pour une semaine au programme et en vedette, Monthéus, sombre et frénétique chantre de la révolte. Le bougre faisait recette et avait l’art de porter son public au rouge sang en magnifiant les « vaillants soldats du 17  e  », tout en ayant au préalable abondamment conchié le sabre et le goupillon, connivence détestable et vouée alors pour les esprits forts à la vindicte publique. Et c’est alors que Monthéus, très détendu, s’éloignait dans le taxi-auto venu l’attendre à la sortie des artistes, que les spectateurs, animés d’une fureur justicière, évacuaient la salle au chant de l’Internationale , ponctué par quelques « les soviets partout », la toute fraîche révolution d’Octobre faisant lever quelques espoirs dans l’esprit des « socialos ». Malheur ces soirs-là au couple de flics cyclistes, les « hirondelles », passant étourdiment à proximité de cette mini-émeute : copieusement outragés, ils n’évitaient de plus graves sévices qu’en ralliant à pleines pédales le commissariat le plus proche, d’où surgissaient des renforts prompts à venir emballer les derniers braillards, quasi automatiquement inculpés d’outrages à agents, rébellion, coups et blessures, vivement déférés en correctionnelle, et à ce titre condamnés ; ce qui, pour les moins de vingt ans, impliquait, la conscription venue, d’être appelés à servir dans les redoutables « Bat d’Af’ », d’où nombre de déveinards ne revinrent jamais, tel notre ami « Julot le plombier » que seuls ses frocs de velours demi-hussarde et sa gueule d’empeigne pouvaient faire confondre avec un affranchi.
    Pour Monthéus, fier détracteur de l’armée, j’appris de longues années plus tard par la lecture de sa nécrologie, et avec quelque surprise, qu’il avait défuncté chevalier de la Légion d’honneur, ordre militaire par destination !
    *
    Aux Bouffes du Nord, la saison d’opérette venait faire l’unanimité des générations de Chapellois. Aux anciens, Les Cloches de Corneville , La Fille de Madame Angot , Les Mousquetaires au couvent , Les Noces de Jeannette , Rip , faisaient effet d’un bain de jouvence, d’un retour vers leur bel âge. Pour les jeunots, l’occasion leur était donnée d’entendre bien chanter des airs qu’ils n’avaient jusqu’alors entendus que fredonnés par des parents plus nostalgiques que vocalement doués. En conséquence, la charmante salle à l’italienne des Bouffes se trouvait-elle bourrée en permanence, de l’orchestre au poulailler, dès

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