Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
Vom Netzwerk:
et richelieus, de chevreau souple, de verni, de daim – qu’on nomme ici veau velours – ces lattes  [9] mignonnes, auxquelles la cambrure prête comme un début de vie, paraissent vouloir participer à un petit ballet folâtre. Un lieu plaisant n’était le chambard des machines, et peuplé d’une dominante de souris avenantes fort portées sur la rigolade, la romance et la gaudriole. Fidèle à ma pente d’esprit, je commence à rêver qu’une de ces créatures va peut-être me remarquer. Elles remarquent surtout ma gentillesse, travers qui me poursuivra comme une tare. Nombre d’entre elles sont mariées, et vertueuses ; quant aux célibataires, je peux le déduire aux plaisanteries qui s’échangent le lundi matin, toutes ont dans leur vie un matou, parfaitement accordé à leur sensualité et à leur idéal de distraction où dominent la danse, le canotage, et les galipettes de plein air. Ces charmantes ne peuvent voir en moi qu’un gamin. Le grand Jean, le « rabatteur-rotative » que j’alimente en boulot, ayant remarqué ma tendance à vouloir roucouler auprès de certaines mignonnes, m’a franchement mis en garde contre cette dépense de mièvreries.
    — Laisse tomber, m’a-t-il averti, tout ça c’est pas du mouron pour ton serin !…
    Je commence à me demander s’il s’en trouvera un jour, du mouron, pour ce diable d’oiseau, lequel voudrait enfin trouver sa pâture.
    C’est qu’il devient gênant, le drôlet, avec ses façons de se dresser sans préavis et de tenir le garde-à-vous dans les moments les moins indiqués. Ainsi lors des cours de danse que nous prodigue le soir, à l’Amicale de l’École de la rue Doudeauville, son dévoué animateur, M. Tinturier. J’ai tout lieu de craindre ses incartades. Surtout lorsque notre maître à danser m’appareille à Suzon l’Auvergnate, une brune, nouvelle venue dans le quartier, la seule élève à ne pas porter de corset et dont la hanche souple semble irradier sous la paume un train d’ondes magnétiques, intéressant le dessous de la ceinture. D’où vive réaction phallique, incontrôlable, et gênante, tant est difficile à masquer, les dernières mesures de la danse s’amortissant, l’insolite distorsion du froc.
    Outre la polka, la mazurka et la valse, travaillées deux fois la semaine après dîner dans le préau désert de l’école primaire de la rue Doudeauville, M. Tinturier enseigne encore aux galopins du quartier, et avec une aussi surprenante autorité, la gymnastique aux agrès, la lutte gréco-romaine, et l’escrime au fleuret. Son épouse, pour ne pas être en reste, prétend former les fillettes à la pratique de la langue anglaise, de la sténo, complétée de celle de la dactylographie, étudiée sur une antique machine à écrire Yost, engin tout prêt à devenir une pièce de musée. Sans faire montre d’ingratitude envers ce couple au zèle impétueux, je doute que leurs efforts aient été couronnés de réussites exceptionnelles dans les multiples disciplines qu’ils entendaient enseigner. Quoi qu’il en fût, les Tinturier se trouvaient également appréciés des familles, flattées de voir leurs rejetons parfaire leurs connaissances à l’œil, comme des gamins et gamines ayant trouvé là la coupure idéale pour se rencontrer, amorcer d’innocentes amourettes, et prolonger la virée nocturne de pas de conduite réciproques ; les retards menés par ces errances dans les rues sombres se trouvant justifiés par de prétendus suppléments d’exercices.
    C’était là des plaisirs semi-innocents, mais ayant le mérite d’être entièrement gratuits. Qualité appréciable pour des fils et filles de purotins, auxquels l’absence de monnaie interdisait les distractions coûteuses qui certes ne manquaient pas dans un rayon assez restreint de notre faubourg.
    Revenus indemnes de la grande tuerie, les anciens combattants ni trop mutilés par le fer ni trop attigés par les gaz avaient, dès leur réinsertion sociale opérée, été pris d’une dévorante fringale de distractions. Cinémas, théâtres, dancings prospéraient. Le fox-trot supplantait la polka, le tango et le paso doble la mazurka. Des troquets avisés, parmi ceux disposant d’une terrasse assez vaste, s’étaient adjoint de petits orchestres – saxo, banjo, batterie – zélateurs de rythmes nouveaux, qui très vite devenaient populaires. Swanny et Smiles furent les premiers airs à faire fureur, jusqu’à

Weitere Kostenlose Bücher