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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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fâcheusement. Depuis quelques semaines la santé de ma mère s’était encore dégradée. La pauvre peinait maintenant à demeurer quelques heures debout, le temps de cuisiner en hâte des nourritures de plus en plus chiches. La blanchecaille livrait maintenant nos lessives toutes repassées, et ses notes grossies d’autant plongeaient notre mère dans le désespoir. Elle en prenait des cheveux blancs, et son chignon jadis noir d’ébène et toujours bien lissé n’était plus qu’une masse grisâtre de mèches informes. Me trouvant sur le sable, comme l’on disait alors, j’étais au moins disponible pour les courses, dont je m’acquittais au mieux, comprenez à l’économie, avant de repartir à la recherche d’un emploi. Je ne saurais dire la somme de désillusions que j’ai connue, des kilomètres parcourus à pinces, guettant l’ardoise affichée à une porte : On demande jeune homme , dans tous les quartiers laborieux, et quelle que fût l’industrie qui réclamait cette main-d’œuvre. Je devais produire sur les employeurs une curieuse impression pour être aussi unanimement rebuté dès ma demande présentée. J’étais tantôt pas assez jeune, tantôt pas assez homme ! Mes précédentes activités ne correspondaient jamais aux labeurs dévorateurs de « jeunes hommes ». J’insistais cependant dans ma prospection. Avec quelque mérite, mais aussi soutenu par un espoir secret, né du meilleur accueil que j’avais jusqu’alors reçu des dispensateurs de boulots. La miraculeuse ardoise découverte sous les arcades de la place des Vosges portait : On demande jeunes plongeurs pour wagons-restaurants . J’entrais de pied ferme me présenter. Pour la première fois, l’homme qui recevait ma demande m’écouta avec une sorte de bienveillance me rappelant celle que m’avait montrée mon examinateur à l’oral du certif, le curieux de Mansart. Hélas pour moi, le recrutement de la plonge ambulante était clos depuis une demi-heure ! Une si intense déception dut se lire sur ma bouille, que cet homme de bien entreprit de me rendre espoir. Rien n’était définitif, la Compagnie avait en commande de nouveaux wagons qu’il faudrait équiper de personnel… Je devais repasser dans le quartier de temps en temps, et primordialement m’assurer de l’accord de mes parents sur cette carrière itinérante, obtenir d’eux, étant mineur, l’autorisation de passer les frontières, en cas d’affectation sur des lignes internationales ! Déjà mon travers à confondre désirs et réalités faisait lever dans mon cassis des mirages d’Orient-Express, dont j’ignorais rigoureusement les étapes, mais qui ne pouvaient, comme tous les « ailleurs » imaginés, ménager que d’excellentes surprises.
    *
    Dix fois par la suite, dès qu’un labeur m’abandonnait, je suis revenu rôder sous les arcades de la place des Vosges. Jamais l’ardoise magique n’est réapparue, passeport pour l’aventure. Dommage ! Pour la première fois je sentais naître une vocation.
    Ce fut la chaussure qui m’accueillit. Mon pote Henri le Flahut m’avertit à temps qu’on engrainait chez Erlich, manufacture de pompes pour dames de la rue de l’Évangile, où lui-même, ayant renoncé à la photogravure, s’affairait à la manutention et à l’emballage. Ponctuel, à l’heure de l’embauche, huit plombes, je me retrouvais un quart d’heure plus tard devant la plus petite machine de l’atelier, m’initiant à son bon emploi, avec le zèle du paumé, trop heureux d’entrevoir une issue à sa débine. Il ne s’agit que d’un tour de main à attraper afin de rogner, au ras des pointes de montage de la tige sur la forme, l’excédent de peau et de doublure par le jeu de va-et-vient d’un petit tranchet affilé, amenant ainsi le dessous de la future grolle à être à peu près plan. Une machine rugissante, la rabatteuse rotative, servie par un costaud, lissera ensuite de façon absolue les plis qui demeurent avant la pose de la semelle. Le sous-sol de Rumpelmayer embaumait la vanille et le chocolat chaud, l’atelier des frères Erlich sent, lui, le cuir et la peausserie fine avec une pointe aigre de colle et d’huile surchauffée.
    J’ai réalisé beaucoup plus tard combien cet atelier aurait figuré un vrai paradis pour les fétichistes de la bottine, dont j’étais alors bien loin de soupçonner l’existence. Sur des chariots de bois, par cinquante paires, dans les pointures courantes, escarpins

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