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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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raison de te tirer !… Je veux plus te voir ici !… Et ton patron… tu sais où on peut lui foutre la patte dessus ?… Au téléphone on me dit qu’on le verra pas avant demain ?…
    Il écume, le chef, mais me fournit la coupure idéale pour prendre le large.
    — J’vais justement le chercher sur un chantier et je le ramène… il comprendra peut-être quelque chose à votre moteur pourri !…
    Je passe, évitant de justesse le coup de latte au cul que dans sa fureur me décoche le chef. « Moteur pourri », n’a pas dû lui plaire…
    *
    Cette fois, j’ai beau me casser le chou, pas mèche pour rejeter sur la malveillance d’autrui mon catastrophique avatar. La connerie, je l’ai bien personnellement commise ; par présomption ; goût pervers de péter plus haut que le cul, désir de briller auprès de ces gentils pâtissiers ; l’enfantine espérance que belle Olga, informée de mon tour de force, m’accorderait peut-être enfin une attention moins distante. De moteur, je n’en avais jamais vu de si près, je ne l’ignorais pas, et la sagesse, voire la simple prudence, aurait dû me commander d’appeler Marcello Figini à la rescousse, sans rien entreprendre.
    J’erre dans les rues, ne sachant à qui réserver la primeur du récit de ma mésaventure… Et pas joice, qu’on me croie !…
    — Toi, t’es encore viré !…
    À peine me suis-je inscrit dans son champ de vision que, sans être devin, mon frangin a compris. Ma mine penaude, ma boîte à outils, l’éclairent assez. Mon récit, je dois le dire, fait naître sur son visage un réel accablement.
    — Pourquoi tu ne m’as pas téléphoné ?… J’aurais fait un saut sur ton chantier… je t’aurais dit quoi faire… ou, plutôt, quoi ne pas faire !… Foutre le feu dans ton bazar, tu vas fort !… Et ton taulier, ton Rital, il est même pas prévenu ?
    Je confirme de la tête. André a une moue amère. Sans élever la voix, il constate :
    — J’crois pas que tu sois doué pour ce genre de boulot !… Qu’est-ce qu’on va raconter à la maison ?…
    J’attendais un éclat, des reproches devant cette nouvelle dérobade de l’emploi. La justification qu’en donna mon frère ne suscita qu’une morne apathie. Mes parents devaient se rendre à l’évidence, l’électricité n’était pas davantage que tant d’autres professions à l’abri de la pestouillarde morte-saison. Nombre d’entreprises, à l’instar de mon entrepreneur rital, réduisaient leur personnel. Souhaitant être convaincant, le brave André m’avait avancé, à fonds perdus, ce qui aurait dû être ma paye de trois jours de boulot ! si j’avais eu le courage, ou le toupet, de réclamer ce pognon à Figini, il m’aurait vraisemblablement réglé mon compte par des violences de préférence à de la monnaie.
    Passé la surprise de me savoir à nouveau sur le sable, ma mère avait pris le parti de taire les inquiétudes qui l’assaillaient à mon propos. Mon père, lui, s’entêtait à me dégauchir un travail : il n’était plus question dans son esprit de métier ou de carrière, et les regards furtifs que je le surprenais à jeter sur moi signifiaient clairement son affliction d’avoir engendré ce qui se nommait alors un « bon à rien », embryon du fatal « capable de tout ».
    Qu’on n’aille pas croire que mon oisiveté m’ait causé la moindre jubilation, que j’aie pu me tenir pour un singulier malin, laissant le labeur à de moins futés que moi. J’en ressentais bien au contraire une sourde honte, que renforçait encore le comportement du voisinage à mon égard. Chez les commères croisées dans l’escalier ou sur le trottoir, une émulation jouait pour me fournir, à la rencontre, après le rituel « T’as toujours rien ? », des tubars sur l’embauche dans des boîtes aux activités les plus diverses, parfois étranges, toujours étrangères à ce que j’avais déjà expérimenté comme colletin, et topographiquement fort éloignées de La Chapelle. Mes prospections à la recherche d’un tapin s’effectuant à pinces, faute de quibus, j’accueillais ces informations avec sans doute une drôle de frime pour que quelques-unes des vieilles toupies qui me les prodiguaient me quittent, indécis, donnant la mesure de leur affliction par un : « Ta pauvre mère !… Penses-y !…»
    *
    Si faible qu’ait été ma récente contribution au budget familial, son tarissement survenait on ne peut plus

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