Confessions d'un enfant de La Chapelle
Les concessions y étaient de cinq piges, délai de décence avant le transfert à la fosse commune, et le monument funéraire pouvant, comme au Père-Lachaise, piquer la curiosité de l’amateur d’art insolite, plus que rarissime. En ce qui concerne les convois, la septième classe, la moins coûteuse, était la plus fréquente à franchir le portail du cimetière. Sans nulle humiliation de la famille suiveuse ; on se souvenait dans les faubourgs que Victor Hugo, à qui la République crut devoir assurer des funérailles nationales, avait dans son testament réclamé « à être porté au cimetière dans le corbillard des pauvres…» Mes proches étaient, par nécessité, d’une grande fidélité à cette septième.
Sauf morbidesse tenace de l’âme, il est peu de lieux aussi démoralisants que les cimetières, et n’ayant quant à moi jamais ressenti la fameuse poésie que d’aucuns leur ont prêtée, j’eus très vite en exécration Pantin-Parisien, pour sans doute avoir essuyé une série trop rapprochée d’obsèques familiales à ce terminus. Suivant celui de mon grand-père paternel vint, trois mois plus tard, le deuil de grand-mère Gonin. La brave femme nous était tombée sur les bretelles, après la faillite de son épicerie de Cras-sur-Reyssouze, et, démunie de toute ressource. Je dois à sa mémoire de préciser qu’elle fut d’une gêne fort légère, mangeant comme un oiseau, première levée pour entendre la messe basse à Saint-Denis-de-La-Chapelle, elle en revenait vivement, trotte-menu, pour passer le café matinal ; économie de fatigue appréciable pour ma mère. La seule difficulté qu’elle suscita fut la recherche d’une blanchisseuse capable d’amidonner et tuyauter les coiffes bressanes que grand-mère refusait d’abandonner, soutenant ne pouvoir s’aventurer dans les rues la tête nue. Je ne sais si c’est l’âge qui la terrassa ? L’ennui peut-être ? Une incapacité organique à s’acclimater à la vie urbaine sans doute ?… Elle nous quitta si vite, et avec une telle discrétion, ayant choisi, se sentant décliner, l’hospitalisation à Lariboisière, que sa disparition nous fut à peine sensible, sauf la sempiternelle septième classe, terminus Pantin-Parisien.
Dans cette série funèbre s’étaient intercalés d’autres tracas plus prosaïques, mais non moins perturbants. Très vite je m’étais fait jeter des Établissements Guyot, m’étant fait surprendre, à l’instar du grand Hervé, en train de chouraver une paire de bretelles de soie, destinée, non à la revente, mais bien à ma panoplie de gandin. Dès cette mésaventure, je m’étais mis à rebondir d’une place à l’autre, cantonné dans les manutentions les plus rebutantes, les livraisons les plus harassantes, ne tentant plus d’utiliser en référence la liste déjà trop longue de mes précédents employeurs, et comblé au-delà de toute espérance qu’on me confiât le moindre boulot. Je me revois poussant, durant une semaine, pour le compte d’un marchand de porc de la rue Montmartre, des chariots zingués, emplis de pieds et de queues de cochon ! Je reconstitue fidèlement le looping de mon triporteur chargé d’ampoules électriques, se pulvérisant sur la chaussée au débouché du pont de la Concorde à l’issue d’un virage hardi. Je crois encore ressentir la brûlure du four à mazout dans une fabrique de tire-fond de La Courneuve, où ma tâche consistait à alimenter en tronçons de barres métalliques, portés au blanc, l’énorme presse latérale hydraulique, menée par un chtimi dévoré par l’ambition de la prime de rendement, et qui vous rejetait sans égard dans les jambes les tronçons pas assez ardents à son gré pour être façonnés par la presse, dans un fracas de fin du monde. Nous avions pour manier ces ferrailles incandescentes d’assez longues pinces de forgeron, pas assez longues toutefois pour préserver de l’haleine torride du four poils des bras, cils et sourcils, dont la première journée de ce coletin [20] faisait justice. Je tins une quinzaine, puis renonçai, n’ayant plus une goutte d’eau dans le corps à transpirer.
J’eus, à l’issue de cette éprouvante expérience, comme une contrepartie accordée par le sort, quelques semaines d’une relative quiétude. J’étais devenu le boy porteur de collection de Mme Enfer, représentante en maroquinerie de luxe pour le compte de divers artisans, il serait plus juste de dire
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