Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
Vom Netzwerk:
entre sept et huit heures, pour un forfait d’une thune par jour ! En dépit de ma répugnance à me tirer du lit aux aurores, cette corvée matinale me séduisait fort ; elle allait me permettre de m’offrir le costard de mes rêves, celui-là même, exposé comme un appât magique dans la vitrine du père Blum ! J’y parvins. C’était un deux-pièces – pour cent balles le père Blum ne fournissait pas le gilet – de gabardine bleu nuit, la veste fermant à un bouton, un peu à la façon d’un smoking, dont je n’avais alors jamais aperçu un seul exemplaire.
    Les négociations financières avec le vieux Juif furent épiques, ce commerçant avisé connaissant presque mieux que les intéressés eux-mêmes les ressources, hauts et bas, de chaque ménage du quartier. La cote des Simonin, accrochés  [17] chez le boulanger, le crémier et le louchébem se trouvait des plus discutées, en conséquence papa Blum exigea cinquante balles comptant avant d’entreprendre les indispensables retouches, le solde étant promis par moi, à raison de dix francs par semaine.
    J’en ai avalé de la poussière lors de mes balayages matinaux ! mais dans la joie, soutenu par le mirage de ce féerique « rider  [18]  ». Il me fut enfin livré. La chaîne sans fin du croume  [19] venait de me happer.
    *
    On pourra trouver puéril que des détails aussi prosaïques me reviennent constamment en mémoire, alors que de rudes épreuves accablaient mes parents ; me taxer, peut-être, d’une sécheresse de cœur fort éloignée de ma nature. D’aucuns pourront trouver surprenant de ne pas me compter dans les troupes de la révolte, juger coupable ma placidité envers la Société marâtre, mon manque d’aspiration à une égalité que je ne constatais nulle part qu’inscrite aux frontons des bâtiments publics. Pour moi, les choses étaient telles que je les observais ; aux puissants, aux musclés la gloire sportive, aux mecs à belle gueule, à la taille avantageuse les frangines les plus bandantes, aux marloupins studieux le royaume des gâches fructueuses et pas épuisantes, à ceux que le trépas n’effrayait pas les galons. En ce qui me concernait, de petite taille, et frêle de stature, démuni d’instruction, et pas autrement beau, ma courte expérience me vouait à me défendre à la sauvette, au coup par coup, avec pour objectif : assurer un jour à ceux que j’aimerais le maintien à 37°, trois repas quotidiens, le tout dans une cagna pas trop déprimante. C’était, je devais m’en convaincre au fil de mes jours, nourrir beaucoup d’ambition.
    *
    J’aurais dû faire gaffe, me défier de la trompeuse accalmie des contre-carres, car quelques-uns m’étaient réservés, imminents et vachâtres. Mon merveilleux complet m’avait enfin été livré, admiré de toute la famille, et reposait dans la grande armoire-penderie, d’où il m’arrivait de l’extraire pour l’essayer, imaginant la surprise de mes potes et du voisinage alors que je l’étrennerais. Convenait-il de le passer pour une soirée d’opérette aux Bouffes du Nord ? Une virée au skating de l’Élysée-Montmartre que nous commencions à fréquenter avec Henri le Flahut, les samedis où nos finances nous permettaient à la fois d’acquitter l’entrée de la piste et la location des patins à roulettes ? Avec un sentiment très net des convenances, j’avais renoncé à l’endosser pour le cours de danse de M. Tinturier : il y eût été ostentatoire.
    Le trépas de tante Camille vint mettre fin à mes hésitations. Un soir, rentrant du labeur, je surpris ma mère surchargeant la manche droite dudit costard d’un brassard de crêpe. Avant que j’aie pu me récrier, j’appris le deuil qui nous frappait et fus mis en demeure de rejoindre vite-fait la maison de mes grands-parents, pour participer à la veillée funèbre et relever mon père qui déjà nous y représentait. Fermement, à voix claire, et les yeux secs, ma mère me transmit la consigne. Sachant en quelle estime elle tenait la défunte, je pus comprendre que disparaissait surtout pour elle la crainte permanente de voir surgir une redoutable raseuse.
    Souvent, mon travers d’anticipation jouant, il m’était arrivé d’animer en pensée ce qu’allait être mon rider, jusqu’à lui prêter une vie propre. Je le voyais dansant, virevoltant des basques pour la valse, hiératiquement adhérent dans les glissandos des tangos : en tout point admiré et admirable.

Weitere Kostenlose Bücher