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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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artistes, dont les ateliers perchaient presque tous dans la partie haute de Belleville aux confins de Ménilmontant. À cette altitude commençait ma journée. J’y retrouvais dame Enfer, venue transmettre les commandes et prendre des échantillons de créations nouvelles enrichissant la collection. Dès huit heures, nous allions d’atelier en atelier, moi, transbahutant dans une poussette les valises de carton verni noir à compartiments gainés de velours, contenant les échantillons. À neuf heures, parfois plus tôt, ma patronne m’abandonnait pour rejoindre le centre par le tramway Cours de Vincennes-Saint-Augustin, tandis que j’attaquais d’un pied léger la descente par la rue des Pyrénées, la rue La Fayette et le faubourg Poissonnière. Une plombe me suffisait pour atteindre le troquet d’angle de la rue Richer, quartier général des représentants et représentantes en camelotes les plus hétéroclites, mais dont les bureaux d’achat pour l’exportation, essaimés dans ce quartier, paraissaient raffoler. Appréciant l’effort et la ponctualité, Mme Enfer, brave personne, m’offrait le café-crème et le croissant réparateurs, et me laissait une paix royale, se satisfaisant de ce que je coltinais avec célérité la collection, de bureau en bureau, et aussi de ma discrétion à toute épreuve, alors que des confrères envieux, qui eussent bien aimé la griller, m’entreprenaient pour connaître noms et adresses des petits fournisseurs qui lui accordaient l’exclusivité de leurs élégantes innovations.
    À dire vrai, ce boulot de porteur me bottait parfaitement. N’ayant que peu d’efforts à fournir, et primordialement nulle occasion de commettre de connerie par mes initiatives, j’appréciais que la journée se terminât tôt, entre quatre et cinq heures, selon les audiences données par les acheteurs étrangers, peu assidus au labeur, à ma patronne. Il m’appartenait encore de remonter la collection à Belleville, la déposer chez notre principal fournisseur, ranger dans la cour de cet obligeant personnage la poussette dûment enchaînée à un tuyau de fonte de descente des eaux. Cela exécuté, venait l’heure de liberté totale, sans contrôle, vouée à la fantaisie sentimentale, que dans mon for intérieur je disais amoureuse. J’avais enfin franchi la lisière séparant l’enfantine attraction pour les filles, chargée d’arrière-pensées dérobées, du réel apprentissage anatomique dans les recoins ombreux, ponctué de roulages de saucisses  [21] , à en perdre le souffle. En un mot, je frayais  [22] . J’avais des rencarts avec des mignonnes que j’allais attendre à la sortie de leur boulot, s’agissant toujours de laborieuses. Ma métamorphose de soupirant platonique en asticot d’amour eut lieu le plus simplement du monde, par le truchement de la danse. Il existait à La Chapelle, vestige de l’avant-guerre, une société dansante nommée « Le Muguet », d’un type encore en ces années assez répandu. Mes frères et nombre de gens du quartier y avaient esquissé leurs premiers pas de valse. Je résolus de suivre cet exemple, et bien m’en prit. Les réunions du « Muguet », et c’étaient autant de petites fêtes, avaient lieu chaque samedi, de huit heures et demie à minuit, dans la grande salle du premier étage du Petit Trou , café faisant l’angle de la rue de La Chapelle et de l’impasse du Curé, non loin du lavoir dont on pouvait, par une fenêtre, apercevoir le drapeau tricolore de zinc. Lissé par les bottines de générations de danseurs, le parquet supportait toutes les glissades, sans se révéler perfide ; le piano d’une belle sonorité, frappé vigoureusement par une vieille dame athlétique, s’entendait parfaitement de tous les points de la pièce, en dépit des pieds traînés des gambilleurs novices.
    La soirée s’amorçait par une demi-heure de cours d’initiation, donné par le maître à danser, mince personnage sautillant, démontrant, à un ralenti fort didactique, des pas dont certains, tel le « folie-Bertaut » son triomphe, devaient être, ne les ayant vu pratiquer ou tenter par personne, de sa création. Il exécutait à merveille cette figure sur un rythme de fox-trot, en compagnie de « Poupette », sa cavalière-partenaire, qu’unanimement les élèves du « Muguet » – était-ce jalousie ? – lui prêtaient pour partenaire dans des parties de traversin d’après-minuit. Venait ensuite la

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