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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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profanation ; leur simulacre d’affliction, une malhonnêteté. Seule m’avait paru acceptable la présence de la bonne sœur de Saint-Vincent-de-Paul venue pour la toilette funèbre. Notre père avait pris une allure de somnambule et accueillait tous les visiteurs avec une sorte d’hébétude. Ce fut lui qui introduisit dans la chambre où reposait la morte Mme Marguerite et M. Louis, par extraordinaire de passage à Paris. Alors que le fier barbeau en ressortait, je l’entendis barytonner, entre haut et bas, avec conviction :
    — Elle était belle fille !
    Je ne sais pas si mon père surprit le propos saugrenu que son auteur avait voulu être un compliment. Il n’y répliqua pas, ainsi que je l’aurais souhaité, par un bon gnon dans la gueule du bellâtre. J’eus de cette inertie paternelle une bouffée de honte, et pour la première fois me vint une pensée meurtrière ; M. Louis, j’aurais voulu, par quelque moyen que ce fût, le détruire, ravager sa sale gueule, l’anéantir.
    Un décès, dans une famille de miséreux telle que la nôtre, la peine mise à part, comportait alors toujours un remue-ménage d’un prosaïsme affligeant, dont le moindre n’était pas la permutation des dormeurs dans les paddocks. Jouait la répulsion d’occuper la couche où un être bien-aimé avait exhalé son dernier soupir. Mon père et moi gagnâmes le grand pageot logé dans l’alcôve de la salle à manger ; Yvonne et Lucienne, belle-sœur et frangine, celui qui avait été dans la chambre, le page de nos parents. Thérèse et ma petite nièce Fernande occupèrent un des lits-cages. L’horaire des repas, devenus davantage des en-cas, se trouva lui aussi perturbé, chacun dressant son couvert et s’en allant quérir dans le buffet de cuisine quelque boustifaille, à généralement tortorer froide. Notre train de vie, un temps tout juste décent, tendait vers celui des zonards, avec encore toutefois une aspiration à la dignité dans la vape  [28] . Ce ralenti alimentaire amenait chacun de nous à accepter sans façon d’être retenu « à la fortune du pot », chez des parents ou amis. Le rôle de nourrisson s’apprend vite. Pour notre père, il répartissait des coups de fourchette de pique-assiette entre les Dalfon, tante Léontine, femme d’Achille, qui s’était réinstallée à Paris, et tante Henriette, l’adultère, dont il avait pris le parti. J’avais, moi, couvert mis en quasi-permanence chez mon cousin Roger, fils d’Achille, truculent bohème établi près de la place Maubert au retour de la campagne d’Orient, et partageant son activité entre la mécanique – son métier –, et la brocante d’objets rachetés aux clodos de la Maub. Pour Lucienne, il lui arrivait maintenant d’être gardée à dîner par des collègues de bureau, que je soupçonnais fort de porter moustache. Seule Yvonne se trouvait astreinte à rigoureusement rentrer directement de son bureau du ministère des Pensions, où sa triste qualité de veuve l’avait fait pourvoir d’un emploi, la pauvre ayant à nourrir et surveiller, et notre petite sœur Thérèse et sa fille Fernande, toutes deux encore dans l’enfance.
    *
    L’impact des chagrins se trouve très diversement ressenti par les êtres. Chamfort, dont je ne soupçonnais pas alors qu’il eût existé, écrit : « En vivant, il faut que le cœur se brise ou se bronze. » Pour notre père, son veuvage s’était traduit par un véritable anéantissement. Lui, peu prolixe avant notre malheur, était devenu quasiment muet. Les rares fois où nous nous trouvions réunis à table, il demeurait muré dans des pensées, sans nul doute moroses pour que parfois quelques larmes soient venues perler à sa paupière. Je l’imaginais tirant le bilan du fiasco qu’avait été son union, se souvenant sans doute des perspectives dorées qu’il avait fait miroiter aux yeux de ma mère au temps de leurs fiançailles et qui s’étaient traduites par une mistoufle perpétuelle, plus tenace d’année en année. Le pauvre homme faisait pitié. Il était devenu la parfaite illustration de l’expression populaire : « une âme en peine » ! À quelles occupations pouvait-il consacrer ses journées ? Nous étions réduits à l’imaginer, sans y parvenir, tant ses horaires demeuraient fantaisistes. L’assuré est qu’il ne pouvait s’agir que d’expédients pitoyables, compte tenu des sommes infimes qu’il remettait, de temps à autre, à ma

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