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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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impérieusement, à grands renforts de sonnailles, le passage, dès que vous vous trouviez imprudemment engagé sur leurs rails. Le wattman à l’avant de sa motrice ne pouvait absolument pas dévier d’une ligne ; à peine freiner en catastrophe, en libérant un jet de sable sous les roues de son convoi. Les contacts tramways-véhicules étaient alors très rudes, souvent meurtriers. La seconde fatalité pestouillarde, aisée à prévoir, était que toutes les voies déclives le matin, et qui m’avaient coûté une si grande dépense de force pour freiner la bagnole, se trouvaient devenues, dans ce sens du parcours, des grimpettes à fort pourcentage ! Je connaissais, dès l’abord, l’étendue de ma douleur. Ma charrette chargée de rogatons, je giclais du chantier d’Austerlitz à cinq plombes, pour me pointer rue des Roses une heure et demie plus tard, les gambettes flageolantes, la limace et les chaussettes trempées de sueur. J’avais pratiquement, au labeur, fait le « tour du cadran ».
    *
    La sagesse, sachant à quoi je m’exposais, eût été, à l’issue de cette première semaine, de déclarer forfait, de plaider la faiblesse de constitution. La perspective de me retrouver à la pêche, de retourner au hasard, de boîte en boîte, mendigoter un emploi, m’en détourna. Et peut-être aussi, absurdement, un sentiment de fidélité à l’équipe des Ritals, dont les bons procédés à mon égard ne variaient pas. Ainsi, en fin de semaine, ayant à exécuter une série de ramonages, les compagnons, conscients de mon appréhension du vide, m’avaient réservé la meilleure place qui pût me convenir, celle de l’arpète qui devant la cheminée de marbre hurle à pleine voix dans le conduit de fumée : « Ohé !… ohé !… ohé ! » Cri de reconnaissance à l’intention du compagnon juché sur le toit, et qui repérant au son le bon orifice, et ayant répété l’appel, y introduisait la « tête de loup  [33]  ». Dès lors il ne restait plus à l’apprenti qu’à disposer quelques seaux pour recueillir la suie grasse qui allait pleuvoir, refermer le rideau de tôle de la cheminée, et attendre, en grillant une cigarette, les trois allers-retours réglementaires de l’appareil, d’une durée variable selon la distance entre l’étage et le toit. Pour le reste de la manœuvre, évacuation de la suie, balayage de la carrée, broutilles de femme de ménage, un peu salissantes, mais sans péril de chute.
    La forte dépense physique réclamée par ce nouveau coletin tarissait dans mon cigare mes extravagances de pensée. Je devenais semblable à la bête de somme retour du travail, qui, quelque bectance absorbée, tombe anéantie sur sa litière. Un autre souci nous était venu rue Riquet la santé de notre père, déclinante au-delà de ce qu’autorisait, à notre sens, le choc assené par son veuvage. L’amener à aller consulter à l’hosto – les honoraires, même modestes, du père Ascher n’étant pas un instant à envisager –, réclama une insistance de tout notre clan. La gratuité totale de l’Assistance publique eut raison de toutes les réticences paternelles. Lariboisière n’était qu’à une section du tramway Saint-Denis-Opéra de la rue Riquet. Notre père s’y rendit. À contrecœur, redoutant sans doute de s’entendre formuler quelque diagnostic en forme de condamnation.
    Ce fut pourtant le cas, mais sans qu’aucun de nous le discernât. Par ignorance. La coutume n’était pas alors, chez les purotins, d’alimenter la conversation de précisions médicales. Crainte d’attirer sur soi un mauvais sort, ou pudeur ? Le sujet semblait, de commun accord, devoir être banni. Les affections les plus redoutées : tuberculose, vérole, typhoïde, méningite, n’étaient citées qu’avec beaucoup de restriction. Alors, le diabète !… Ce n’était pourtant pas une rigolade, mais notre quasi-indifférence, notre lenteur à nous alarmer, nous vint d’une absence de médications, le toubib prescrivant uniquement la suppression du sucre, de l’alcool et du pain dans le régime alimentaire. Régime rigoureux : saccharine, biscottes spéciales, et eau claire, furent désormais au menu de notre vieux papa qui, devenu indifférent à tout, ne protesta jamais ; son manque d’appétit était à lui seul une protestation muette.
    Comme on peut en juger, le moment aurait été mal choisi pour casser le bail avec la fumisterie. Mes 85 points amputés de ma

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