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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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belle-sœur Yvonne, muée en intendante de la tribu, charge ingrate, et qui devait absorber la totalité de ses appointements, plus sa pension de veuve de guerre. Voulant naïvement remédier à cet état de choses, je renonçai aux tonneaux pour un labeur beaucoup mieux casqué.
    Il m’était revenu, par la rumeur des galopins férus d’emplois disponibles, qu’une entreprise de fumisterie du quartier ouvrait un nouveau chantier et recrutait facile. Je tentai ma chance.
    Les adresses sont souvent trompeuses. L’énoncé de celle du plus honnête logis, rue de la Tombe-Issoire, m’a longtemps causé un malaise, comme si quelque présage funeste s’attachait à ce lieu. La nouvelle boîte où j’allais proposer mes services se trouvait rue des Roses, et sur l’instant ma prompte imagination l’entrevit tel un jardin « où la rose et le pampre s’allient », ainsi qu’il était dit dans un poème que nous récitait parfois, pour obtenir silence, la Fouine, directeur de la communale Torcy. Illusion de très brève durée. Pas la moindre végétation dans l’endroit, pas la plus petite fleur, mais une considérable écurie de charrettes à bras, toutes de grand format, semblant tendre vers moi leurs brancards, comme une invite. Sur mon assurance que je connaissais la conduite de ces maudits engins, ma candidature fut d’emblée acceptée. Je débutais comme « mousse  [29]  » aux appointements de 85 francs par semaine, pactole qui allait me permettre d’amortir ma dette envers le père Blum, les derniers 20 francs. Aux mousses étaient dévolues les corvées du chantier : ravitaillement des compagnons en « kilbus de jaja  [30]  », gâchage de mortier, approche à pied d’œuvre des briques, des poteries et des auges, nettoyage du chantier et, fatalité m’ayant rejointe, le transport, de l’entreprise au lieu de son emploi, du matériel, éléments d’échafaudages, planches, échelles, cordages, sacs de plâtre et de ciment, têtes-de-loup et autres bricoles.
    J’eus pour mes débuts dans la fonction droit au plein chargement de la bagnole. Le chef de l’équipe à laquelle je me trouvais affecté y veilla, s’étudiant à réussir une judicieuse répartition des poids, garante d’un bon équilibre. Cet homme de bien poussa même la sollicitude jusqu’à allumer les deux lanternes à huile, placées l’une à l’avant, l’autre à l’arrière de mon char ; le jour ne devant totalement se lever que vers huit heures, alors qu’il en était sept heures passées de peu. Le brave mec eut encore l’obligeance de m’aider à démarrer, poussant au cul de la voiture dans la partie montueuse de la rue de La Chapelle, avant de m’abandonner à la hauteur du métro Torcy, dont l’entrée de la station l’escamota non sans qu’il m’eût une fois encore précisé les voies à emprunter pour aboutir à mon terminus, la gare d’Austerlitz ! Son ultime recommandation fut :
    — Traîne pas en route !… T’en as pour une heure… C’est tout droit !…
    *
    Une heure !… La vache… ! Je voudrais l’y voir, le chef, dans les brancards de la charrette ! Selon moi, même les mains dans les poches et le nez au vent, il devrait falloir un drôle d’athlète pour accomplir le parcours « rue des Roses, cette putain de gare d’Austerlitz » ! Je renaude fort, écœuré par le freinage sur les talons dans la descente du faubourg Saint-Denis, puis celle, à peine moins pénible, du boulevard Magenta. La République franchie au petit trot, un banc m’accueille sur les Filles-du-Calvaire, les fumerons  [31] me rentrant dans le corps. Je me demande soudain si l’épreuve qui m’est infligée n’est pas une brimade professionnelle réservée aux apprentis, afin d’apprécier leur courage ? Dans ce cas, ils vont voir à qui ils ont affaire, en ma personne ! J’aimerais posséder une montre pour contrôler la durée de la pause que je m’autorise. J’en suis réduit à consulter furtivement l’horloge octogonale d’une brasserie devant laquelle stationne mon tape-cul. Dix minutes coulent avant que je m’aventure à réinsérer dans la bricole et les brancards de ma toute personnelle ennemie à deux roues. Et, youp-là, bonhomme, c’est reparti !
    *
    Curieux sans doute de voir la bouille de leur nouvelle recrue, les compagnons se sont formés en comité d’accueil à la grille de la cour de départ. Ils me retapissent à la voiture et se montrent immédiatement

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