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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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quote-part à la popote ritale et de quelque bigaille modeste  [34] , il m’est permis de remettre une demi-livre, cinquante balles, à la masse familiale chaque samedi. Aussi je m’accroche au labeur, moins éprouvant depuis que je suis parvenu à vaincre le vertige, qui devait naître d’un excès d’imagination. J’en arrive à me surprendre à parfois bagotter d’un pas aérien au faîte des toits, à l’instar des compagnons, vieux routiers des cimes. Le vrai danger dans les turbins périlleux naît alors que se dissipe la défiance. Le belluaire se verra agressé par un fauve travaillé avec trop de désinvolture ; le menuisier toupilleur paiera à sa machine le tribut de quelques phalanges dès qu’il cessera d’en redouter le fer tournoyant ; l’égoutier pourra payer de sa vie une indifférente distraction à la montée des eaux souterraines.
    Ce matin-là, Mattéo et moi-même sommes affectés à un petit boulot des plus peinards. Il fait un temps idéalement clément, le soleil donne modérément dans un ciel où une petite brise chasse quelques flocons de nuages, et pour mon agrément personnel, la douzaine de poteries qu’il s’agit de remplacer perchent sur un bâtiment de deux étages, celui de la buvette de la cour des départs. Nous accédons au toit par une tabatière éclairant le palier du second, pourvu d’une fontaine qui va m’économiser la fatigue de monter les seaux de flotte réclamés par le mortier. Que souhaiter de plus rationnel ? J’opère avec une auge de moyenne capacité, moins pesante, et plus économique en mortier, que Mattéo a le temps d’épuiser jusqu’à la dernière truelle avant qu’une prise hâtive le rende impropre à l’emploi.
    La perfection n’est pas de ce monde, et ce toit exemplaire n’aurait que des qualités s’il n’était barré, à hauteur d’homme, et à une dizaine de mètres de la tabatière de départ, par une ligne électrique aérienne de trois câbles nus de vingt dixièmes, bien tendus, mais qui obligent à se courber lors de leur approche, afin de passer sous eux sans dommage. Le chouette sur ce toit en semi-altitude est qu’il permet de suivre l’amusant cortège des bagnoles amenant les voyageurs, taxis, voitures de maître, rares fiacres ; d’inventorier les multiples variétés de bagages, cuir luxueux ou fibrine tartouille, valoches à soufflets, squarmouth, malles de cabine, et aussi, reliques, malles cerclées de fer à couvercle bombé. Ça distrait ce spectacle, amène à imaginer des destinations, des fortunes ou des misères, et se marie bien avec l’odeur de fumée mêlée de vapeur que crachent les locomotives sous pression, sous la grande verrière de la gare. J’en ressens une pointe de jalousie pour ces gens qui partent, pour où ? peu importe ! La certitude est qu’en fin de journée, alors que j’attaquerai la pente du faubourg Saint-Denis, bretelles tendues dans les brancards, eux auront changé de paysage. Je pense qu’avec un peu de chance, tombant un jour d’embauche à la plonge des wagons-restaurants, je pourrai peut-être me compter parmi ces innombrables qui embarquent pour ailleurs. L’Espagne, ce doit être chouette ! Digressions sur rêveries.
    — Bouge pas, tête de « can » ! bouge pas !… j’arrive !…
    Du brouhaha qui monte de la cour m’atteint dans mon cirage la voix de Mattéo, plus proche et me dominant. Je suis les bras en croix, à plat dos à mi-pente du toit, accroché par mon bleu à un crochet d’ardoise, la gueule endolorie, et incapable de mouvoir les mandibules pour mieux aspirer l’air. Luttant pour ne pas m’endormir, je tombe dans une semi-somnolence. J’en émerge sur un brancard dans le cagibi affecté à l’entreprise, et à demi à poil. Le toubib du poste de secours de la gare m’ausculte sous les regards attentifs du chef d’équipe, et de Mattéo, tous deux c’est visible prodigieusement emmerdés. L’homme de l’art les rassure, estimant superflu de m’envoyer à l’hosto. Ma mâchoire se décontractant, je peux enfin demander ce qui m’a mis dans cet état. La fée électricité, décidément pas favorable ! J’ai simplement, paumé dans ma gamberge, oublié de m’incliner au passage des câbles, et m’en suis cloqué un sous le menton, où la marque des torons demeure, comme tatouée. Ma chance a été de chuter en arrière, et je n’ai dégusté qu’une beigne magistrale, alors que j’aurais pu rester collé et cuire

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