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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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insupportable. En aucune façon, il ne saurait imposer à sa clientèle étrangère sélectionnée le contact d’un être aussi fruste. Dans l’hôtellerie, l’accent des barrières n’avait pas cours ; on devait lui préférer les arrière-plans rocailleux, reliquats des patois parlés dans l’enfance, et évocateurs d’une longue ascendance de « fidèles serviteurs ».
    Il faisait pas ma balle, ce compte rendu, d’autant que rapporté devant notre père il avait fait passer dans le regard du pauvre homme la lueur d’un accablement dont il n’avait nul besoin. Qu’est-ce qui m’arrivait encore ? de quelle nouvelle tare me chargeait-on ? Déjà ma foutue écriture m’éliminait des boulots de plume, si maintenant je ne sais quelle prononciation vicieuse venait me couper la jactance, j’étais mal barré !
    Ce devait être l’opinion de mon frangin, qui m’ayant pris à part me fit observer :
    — J’y comprends rien… à l’école tes seules bonnes notes étaient en récitation… Ils étaient tout de même pas dingues, tes maîtres ? Ils étaient pas sourds… si t’avais parlé voyou, ils l’auraient remarqué ?…
    Frappé par la logique du frangin, je peux qu’avouer :
    — Tu sais, c’est plus facile de dire les mots des autres, que d’en trouver soi-même… Tu peux t’appliquer !…
    *
    Mon échec auprès du chef chasseur m’a sur le coup un peu sonné. Je m’en console en me persuadant que j’aurais été ridicule, sapé en grouillot. Ceux que j’ai entrevus, trottinant dans le hall de l’hôtel, à peine moins dorés que leur chef question vareuse, coiffaient des sortes de tambourins que je n’imaginais absolument pas sur ma tronche. Quoi que j’aie à maquiller dans l’avenir, je pensais pouvoir rester fidèle à la vieille deffe  [37] . En ça encore je me trompais.
    Ma décision de ne plus jamais exercer de travaux de force, en compagnie d’hommes rudes, je m’y tenais ferme. Ce qui limitait à un point incroyable l’essentiel de ma prospection des boulots vacants. Le gars Fougère, devenu « petit télégraphiste », m’avait introduit dans la filière, et j’étais fort appâté par la perspective des pourboires à enfouiller. Faute de disposer d’un vélo, ma candidature fut repoussée. À vrai dire, j’étais totalement paumé, ne sachant plus dans quelle direction orienter ma recherche. Le voisinage, un temps si zélé pour m’indiquer des voies, avait renoncé à son apitoiement, comme à ses avis à la godille. On devait maintenant me tenir dans le coin pour le tocard instable intégral, rigoureusement implacardable, le « pas intéressant », ainsi que l’on nommait alors les inclassables dont il convenait de se défier.
    Mon caractère s’assombrissait, n’ayant pas un kopeck en poche pour décarrer en leur compagnie, j’évitais mes potes mieux armés en monnaie. Finis la gambille et le cinoche ; les rêveries sur les gisquettes, même, avaient déserté ma tête. Je me mouvais dans une réalité poisseuse, n’imaginant plus d’issue à mon état précaire. Parfois il me venait des idées saugrenues, telles que m’engager dans la marine, à l’école des mousses. Consulté, mon frangin qui connaissait la question m’avait pour la première fois vertement engueulé.
    — D’abord tu n’as pas l’âge ! avait-il objecté… Ensuite, je préférerais te casser une patte que te voir faire une connerie pareille !… Viens plus jamais me briser les burnes avec des âneries de ce calibre !… plus jamais !… t’entends ?…
    Il est courant d’entendre des gniards solidement établis dans des activités diverses et gâtés par la fortune prétendre qu’ils ont toujours voulu être ce qu’ils sont devenus ; soutenir devoir leur réussite à leur ténacité, leur fermeté dans un dessein précis. C’est, je crois, faire bon marché du hasard, méconnaître l’importance des rencontres, se montrer inattentif, voir ingrat, en oubliant ce que j’appellerai les déclics du destin, les conjonctions imprévisibles d’êtres, bénéfiques ou maléfiques, dont l’influence pourra ne se faire sentir que plus tard, ou jamais.
    Pour moi, le premier appel du destin me vint, sans que j’en aie le moindre doute, lors d’un dîner au cours duquel je chaperonnais ma sœur aînée. Lucienne comptait, d’un avis général, parmi les plus jolies filles du quartier et à ce titre se trouvait fort courtisée. Des matous de tous âges

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