Consolation pour un pécheur
tronc ?
— Dans l’espoir d’éviter les patrouilles, Votre Excellence. La lune brillait fort cette nuit. Bien sûr, là où il se trouvait, dans l’ombre, il craignait aussi que quelqu’un lui marche dessus.
— Bien sûr, répéta l’évêque. Et sait-on qui est la victime ?
— Cet homme se prétendait marchand, Votre Excellence. Il est arrivé en ville courant mai et s’est installé dans la taverne de Rodrigue.
— Ce n’était pas un négociant très fortuné, apparemment.
— C’était plutôt une sorte de colporteur, un peu plus ambitieux que la plupart, peut-être, fit remarquer le capitaine. On m’a demandé d’interroger la mère Rodrigue à son propos. Elle semble l’avoir connu aussi bien que quiconque, si les commérages disent vrai.
— Dans ce cas, je ne vous retiendrai pas, capitaine. Je vous laisse poursuivre votre enquête sur les circonstances de l’assassinat de ce marchand. Rappelez-vous que je n’aime pas voir ces meurtres et tout ce tohu-bohu sur les marches de la cathédrale, ni à proximité, d’ailleurs.
Le capitaine s’inclina.
— Certainement, Votre Excellence, murmura-t-il en se demandant, un peu rebelle, si l’évêque croyait que lui appréciait les perturbations causées par la présence de ces deux cadavres.
Mais, comme d’habitude, son visage agréable demeura impassible, indéchiffrable.
Yusuf revint de sa leçon d’équitation matinale pour trouver la cour déserte à l’exception de Raquel, assise à la table à tréteaux avec un lourd volume devant elle.
— Tu es en retard, ce matin. Papa est déjà sorti.
— A-t-il besoin de moi ? fit le jeune garçon d’un air gêné.
— Il a dit que non. Il rend visite à des voisins et a également refusé mon aide. Aucun n’est vraiment malade, à mon avis, ajouta-t-elle sur le ton de la confidence. Ils sont à l’affût des derniers commérages, rien de plus.
— Le panier était prêt, se défendit Yusuf. Je m’en suis occupé tôt ce matin.
— Cesse de t’inquiéter, Yusuf. S’il avait eu besoin de quelqu’un, j’étais là.
— Et vous en savez bien plus que moi.
— C’est un beau compliment, venant de ta part. En retour, je t’avoue que tu sais des choses très importantes que je ne connais pas. Je veux parler de ta langue. Je n’y entends rien. Pourtant je le devrais. La plupart des grands livres de médecine sont écrits dans cette langue.
Elle poussa vers lui l’épais manuscrit relié de cuir.
— Comme celui-ci. Tu vois ? C’est un traité sur les herbes et les plantes. J’en reconnais beaucoup grâce aux illustrations, mais on indique probablement des usages que j’ignore totalement. Il y a aussi des images de plantes qui me sont inconnues.
— Je vous enseignerai ma langue. Et comment la lire. Ainsi vous pourrez étudier seule dans ce livre.
— J’aimerais apprendre à prononcer les mots, pour commencer. En cela, tu peux peut-être m’aider. Mais je doute que tu saches lire autre chose que les lettres. Comment feras-tu alors ?
— Un livre tel que celui-ci m’aidera à me rappeler ce que j’ai appris. J’en sais plus que vous, de toute façon. Je connais les mots de tous les jours, et peut-être y a-t-il par ici des érudits qui nous aideraient à déchiffrer les mots compliqués.
— Il y en a, dit Raquel d’un air dubitatif. Papa connaît ta langue. Si seulement il pouvait voir les lettres…
Yusuf prit le livre en main et regarda attentivement la page.
— Ça, c’est le mot « moisson », me semble-t-il. Mais je manque de pratique. Est-ce que vous allez bientôt épouser Daniel ? ajouta-t-il en sautant du coq à l’âne. Je me posais la question parce que j’ai beaucoup à apprendre pour assister mon maître comme vous le faites.
— Épouser Daniel ? fit-elle en rougissant. Qui t’a dit cela ?
— Cela saute aux yeux qu’il est amoureux de vous. Et la maîtresse essaye toujours de vous pousser l’un vers l’autre quand il vient ici. Est-ce que vous êtes amoureuse de lui ?
Raquel regarda le jeune garçon avec curiosité.
— Cela ne te regarde… bah, je suppose que ce sont tes affaires, après tout. Et dans ce cas, la réponse est non. Je ne suis pas amoureuse de lui.
— Pourquoi pas ?
À sa façon de la poser, il était clair que c’était une question très sérieuse.
— Il est beau, n’est-ce pas ?
— Je suppose, oui. Je n’ai pas vraiment fait attention. Il est trop… je le connais
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