Consolation pour un pécheur
tout le monde savait, dit le poissonnier. Parce que, selon son marmiton, notre marchand trouvait la mère Rodrigue particulièrement accueillante. Ce ne serait que justice si Rodrigue avait sauté sur l’occasion de revendiquer ses droits.
— Pas du tout, intervint Caterina, la marchande de friandises. Rodrigue est toujours aussi innocent – et aussi stupide – qu’un nouveau-né. J’ai entendu dire – et je tiens ça de source sûre, croyez-moi, de la cathédrale elle-même – que Baptista avait posé les mains sur le Graal alors qu’il sortait tout juste d’un lit adultère, encore couvert de son péché, et de bien d’autres, je ne m’en fais pas pour lui – et que c’est la mort pour qui touche la coupe sacrée si l’on n’est pas le plus pur des hommes.
— On l’a retrouvée sur lui ? demanda la servante, les yeux écarquillés.
— Non, répondit Caterina, l’air sombre. Que ce soit sous une forme ou une autre…
— Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?
— On prétend que ce récipient sacré peut se transformer en tout ce qu’il veut pour ne pas être dérobé par des mécréants, vendu ou utilisé dans un but sacrilège…
— On pourrait en faire usage en sorcellerie ? chuchota la servante, tout excitée.
— On peut s’en servir pour n’importe quoi de néfaste, affirma Caterina. Il peut se trouver là, sur ce marché, tu vois, et si tu le touches et que tu n’es pas complètement pure de tout péché, eh bien, tu mourras.
La servante recula d’un pas.
— Vous voulez dire que ce pourrait être l’un des poissons de Bartolomeu ? dit-elle en regardant son panier comme s’il allait lui sauter au visage.
— Mais non, grosse niaise, pas ce genre de chose ! Un plat en étain, un pot en fer, même un gobelet en bois. Il ne prendrait pas la forme d’une chose qu’on peut tuer et manger.
Pendant qu’elles parlaient, quelques femmes mais aussi deux ou trois curieux s’étaient rassemblés devant l’étal du poissonnier. Chacune des phrases de Caterina soulevait un murmure de fascination.
— Vous dites que n’importe quel plat de ce marché peut être le Graal, tout prêt à nous tuer ? demanda une grosse femme rougeaude qui se tenait derrière la servante de maîtresse Sibilla.
— Comment on peut savoir lequel c’est ? questionna une autre.
— Vous n’avez qu’à le toucher, lança un farceur, vous verrez en combien de temps vous tombez raide morte !
Il est difficile de situer avec précision le moment où la discussion passa du commérage à l’hystérie. Peut-être est-ce lorsqu’une fille de cuisine, très jeune et très crédule, envoyée au marché chercher des oignons, abandonna à contrecœur cette conversation passionnante et buta dans une femme qui vendait des plats en terre.
— Un plat pour aller au four, ma belle ! lança la femme en brandissant son ustensile. Pour ta maîtresse ou pour ta dot. Tiens, touche-le. Vois par toi-même comme il est lisse et bien cuit…
La fille de cuisine poussa un cri de terreur et rejeta le plat, qui tomba à terre et se brisa en mille morceaux.
— C’est la mort qui s’abat sur nous ! hurla-t-elle. Aidez-moi ! Sainte Mère de Dieu, aidez-moi !
CHAPITRE XI
Tous ceux qui se trouvaient à portée de voix se précipitèrent pour voir ce qui se passait : devant la servante qui hurlait et le pot brisé à terre, chacun y allait de sa propre conclusion et agissait en conséquence. Quand deux des gardes épiscopaux arrivèrent, certains s’étaient déjà enfuis, porteurs de récits riches en malédiction et en destruction ; d’autres étaient restés pour observer les deux individus qui avaient renversé la table et brisaient une grande quantité de plats en terre. La marchande serrait son pouce blessé et exprimait son indignation haut et fort.
Les deux ivrognes enthousiastes et destructeurs qui s’en étaient pris à l’étal furent arrêtés ; la majeure partie des spectateurs décida alors de se fondre dans la foule. Mais cela ne calma en rien l’hystérie qui s’emparait de la ville.
Le capitaine de la garde et son sergent parcoururent à cheval la courte distance qui séparait les écuries de la cathédrale de la place du marché. Là, ils observèrent les femmes en sanglots.
— Je peux m’en occuper, capitaine, dit le sergent. Ce sera plus facile maintenant qu’après. Nombre de témoins ont déjà disparu rien qu’en nous voyant.
Le capitaine secoua
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