Consolation pour un pécheur

cela donnerait une bonne idée de ce qui les attendait au cours des années suivantes.
    Le père Francesc ne surprit donc personne en disant la messe devant une assistance considérable comme le voulait la solennité de l’occasion. Mais quand le moment de prêcher fut venu, il regagna discrètement les stalles et prit place parmi les autres chanoines. Une petite porte s’ouvrit et un homme apparut qui monta les marches conduisant à la chaire.
    Pour beaucoup – mais pas pour Francesc Monterranes ou Bernat –, ce fut un véritable choc de voir Berenguer de Cruilles contempler sa congrégation.
    Plus tard, quelqu’un fit remarquer d’un ton plaisant que l’évêque avait l’air en bonne santé pour un agonisant. D’autres le trouvèrent un peu pâle. Mais tout le monde reconnut que, lorsqu’il parla, ce fut, comme à l’ordinaire, d’une voix bien assurée, capable d’atteindre les recoins les plus secrets de la cathédrale.
    —  Beatus vir qui non abiit in consilio impiorum, lança-t-il d’une voix vibrante. Et cela signifie, mes enfants : « Heureux celui qui ne suit pas le conseil des impies ! »
    Son regard semblait pénétrer les yeux de chaque fidèle pour toucher jusqu’au fond de leur âme.
    — Mes enfants, écoutez-moi attentivement, je vous en conjure, et prenez garde à ce que je vais vous dire. La méchanceté s’abat sur nous, avec autant de vigueur que la pestilence, et l’on compte déjà deux victimes. Deux hommes en pleine force de l’âge. Si l’un était connu de nous tous, respecté de nous tous, l’autre était un étranger qui, tout misérable pécheur qu’il fût, méritait notre aide et notre protection.
    « Leurs morts sont survenues parce qu’un grand nombre des nôtres – oui, vous-mêmes, qui êtes réunis aujourd’hui devant cet autel – ont écouté les conseils pervers des impies, d’hommes et de femmes mauvais ou insensés, au lieu de ne prêter leurs oreilles qu’au bon sens qui nous vient de Dieu.
    « Aujourd’hui nous célébrons le sacrifice mystique du corps de Notre-Seigneur. J’avais à l’origine l’intention de vous parler de ce sacrifice ultime, mais les mots m’ont été arrachés de la bouche par l’action d’autres puissances…
    Les fidèles frémirent, mal à l’aise.
    — Certains disent qu’il est ici, poursuivit-il sur le même ton. Aujourd’hui, dans notre ville. La coupe bénie, le saint calice, le Graal où Notre-Seigneur S’est offert en sacrifice devant Ses disciples. Certains déclarent que cette relique suprême se trouve ici, mais aussi qu’elle engendre autour d’elle la vengeance et le malheur. Et ils disent encore d’autres choses. Soyez-en assurés, mes enfants, j’ai entendu tout ce que disent les fous et les méchants. Que le Graal peut procurer le pouvoir et la richesse infinie, qu’il peut se métamorphoser pour rester hors de portée des mains impies. Qu’il peut tuer.
    « Ce qu’ils racontent est faux – entièrement faux. Réfléchissez un instant. Dois-je croire que la coupe qui a vu le sacrifice de Notre-Seigneur est semblable à la pierre de l’alchimiste ? À une baguette de sorcier ? Au feu d’un bonimenteur de foire ? À moins qu’elle ne soit une idole païenne ? Si tel est le cas, c’est qu’elle est tombée entre les mains de Satan, et cela, je ne puis le croire.
    « Il suffit que vous sachiez que la sainte coupe est en sûreté. Elle est à l’abri, quelque part dans les montagnes, gardée par une troupe de moines zélés. Elle y fut portée à l’époque des invasions menées par les infidèles afin d’être protégée. Et elle y demeure, entourée de murailles solides et de prières ferventes.
    « Il n’y a dans cette ville aucune relique sacrée susceptible de menacer votre vie ou de vous promettre la puissance et la fortune. Je vous l’assure, mes enfants, de telles croyances relèvent de l’anathème ! Et je ne les admettrai pas dans mon diocèse.
    Il se tourna vers l’autel en murmurant In nomine Patris, et filii et Spiritus Sancti. Amen, puis il disparut par la petite porte qui l’avait vu entrer.
    La majorité des fidèles trouvèrent que c’était un sermon intéressant, même s’ils n’en crurent pas un seul mot. En revanche, ce qui les fit causer pendant une bonne partie de la journée, c’est que Berenguer de Cruilles en personne l’avait prononcé.

CHAPITRE XIX
     
    L’après-midi de ce même jour, le calme régnait dans la maison du