Consolation pour un pécheur
Daniel, entrez. J’espère que tout va bien.
— Très bien, maîtresse Judith, répondit le jeune homme. Pardonnez-moi d’interrompre votre repos, mais je suis venu discuter avec maître Isaac.
— Bien entendu, fit Judith, trop éduquée pour rester un instant de plus après une allusion aussi transparente. Je vous prie de m’excuser. J’ai beaucoup à faire. Peut-être bavarderons-nous un peu plus tard.
Sur ce, elle s’installa en haut de l’escalier, d’où elle pourrait écouter discrètement la conversation.
Raquel entrouvrit la porte de sa chambre.
— Maman ? Qui est là ?
— Ce n’est que Daniel, ma chérie, lui répondit sa mère. Il est venu voir ton papa pour quelque problème.
— Oh…
Raquel referma la porte et regagna son lit.
— Maître Isaac, je vous présente mes excuses, dit Daniel.
S’il avait espéré trouver Raquel assise parmi sa famille, il ne le montra nullement.
— Cela fait plusieurs jours que je me suis rendu à l’abbaye. J’avais l’intention de vous apprendre immédiatement ce que j’y avais découvert, mais chaque fois que j’ai essayé, il m’a été impossible d’avoir une conversation privée avec vous. Vous êtes un homme très occupé, maître Isaac, ajouta-t-il avec une certaine tristesse dans la voix.
— Je ne m’en suis pas inquiété, répondit le médecin. Vos exploits sont bien connus.
— Vraiment ?
— Par exemple, vous avez longuement parlé au frère Joaquim. Don Vidal l’a mentionné à l’évêque.
— Oh non… Je croyais m’être montré plus discret que ça.
— Je suis étonné, Daniel, fit Isaac, narquois. Si quelqu’un doit savoir avec quelle vitesse les nouvelles et les rumeurs circulent dans une petite communauté, c’est bien vous. J’imagine qu’un moine ne peut éternuer sans que tout le monde le sache dans l’heure qui suit.
— Mais ils semblent à peine se parler ! Bon, je suis désolé si j’ai causé quelque trouble. Permettez-moi tout de même de vous rapporter ma visite.
— Je vous en prie.
— Après avoir fait affaire avec l’abbé – il ne lui a fallu qu’un moment, maître Isaac, pour essayer les gants et s’en déclarer satisfait –, j’ai demandé au frère qui m’avait introduit dans son cabinet quel âge avait le jeune Joaquim. Je voulais que ma question ressemble plus à un échange de politesses qu’à une réelle curiosité. Apparemment, j’ai échoué.
— Vous a-t-il répondu ?
— D’une certaine façon, oui. Nous déambulions dans le cloître quand le frère m’a montré un moine en train de travailler au petit jardin d’agrément qui en occupe le centre. « C’est lui, m’a-t-il dit. Son pied est guéri, mais il est toujours un peu étrange. Il s’occupe bien des fleurs. » Il est alors parti en précisant que le frère tourier me raccompagnerait. J’ai trouvé cela curieux, puis j’ai compris que c’était une manière délicate de m’autoriser à m’entretenir librement avec Joaquim.
— Vous l’avez fait ?
— Oui, mais ce fut une étonnante conversation.
Daniel s’arrêta brusquement et Isaac attendit un moment avant de le questionner à nouveau.
— Daniel, vous allez me faire part de ses propos ?
— Certainement, maître Isaac, s’empressa-t-il de répondre, mais ce fut très surprenant.
— Je vous en prie, poursuivez.
— Il paraissait se désintéresser totalement de son état de santé. Quand j’ai mentionné son pied, il l’a regardé et a secoué la tête. Pas comme s’il lui posait des problèmes mais comme s’il n’avait pas pensé à ses pieds depuis des années.
— Intéressant…
— Je lui ai ensuite demandé s’il envisageait de retourner dans ses montagnes. En fait, j’ai commencé par lui demander où se trouvait son monastère. Celui qui se cache dans les montagnes. Il avait l’air de l’ignorer, maître Isaac. Il a à nouveau secoué la tête et expliqué qu’il plantait des fleurs. J’ai insisté et il s’est mis subitement à parler. « Il faut que je retourne dans mes montagnes, car c’est le seul endroit où je serai à l’abri des méchants. C’est le malheur, ici. » J’étais surpris, comme vous pouvez l’imaginer, et j’ai voulu savoir de quoi il parlait. Il m’a regardé longuement. « La coupe », a-t-il fini par dire. Je l’ai donc prié de me préciser quel était le rapport.
— Vous étiez seuls à l’écart des oreilles indiscrètes ?
— Nous
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